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Les Ukrainiens craignent des réductions d'aides sociales en Pologne
Pour Olena Kochoulko, le souvenir de sa première année après la fuite de l'Ukraine reste flou mais, petit à petit c'est la peur qui revient, depuis que sa nouvelle patrie, la Pologne, envisage de réduire les prestations pour les réfugiés ukrainiens comme elle.
Ayant fui la guerre, elle vit dans une chambre d'un centre d'accueil près de Varsovie avec ses deux enfants, Veronika, 12 ans, et Oleksandr, 18 ans, né handicapé et nécessitant des soins permanents.
Cette mère au foyer de 43 ans risque désormais de perdre son allocation mensuelle de 800 zlotys (190 EUR) que tous les parents, y compris les Ukrainiens, peuvent réclamer pour chaque enfant de moins de 18 ans.
Les autorités polonaises prévoient de réserver cette aide uniquement aux Ukrainiens qui travaillent dans ce pays de l'UE.
"Je ne peux pas travailler car l'état de mon fils requiert des soins constants", indique Mme Kochoulko à l'AFP, Oleksandr nécessitant un fauteuil roulant pour tout déplacement plus long.
Mme Kochoulko a pu l'acquérir uniquement grâce à des fonds collectés par une association caritative et au soutien de l'État.
"Si je n'ai plus cette allocation, je ne sais pas comment nous survivrons", dit-elle.
La Pologne, voisine de l'Ukraine, est un allié de Kiev qui lutte pour repousser l'invasion russe.
Varsovie a toujours plaidé pour une aide militaire accrue à l'Ukraine et des liens plus étroits entre Kiev, l'Otan et l'UE.
Mais au moment où la guerre entre dans sa quatrième année, la Pologne a annoncé qu'elle réduirait son aide à une partie des 900.000 réfugiés ukrainiens.
A l'approche de l'élection présidentielle en mai, les centristes au pouvoir sont confrontés à une poussée de l'extrême droite qui cherche à tirer parti d'un sentiment anti-ukrainien croissant.
Le proche collaborateur du Premier ministre Donald Tusk et favori à la présidence, Rafal Trzaskowski, a déclaré le mois dernier que les allocations familiales devraient être limitées aux seuls Ukrainiens qui "travaillent, vivent et paient des impôts en Pologne".
- "Je ne peux pas travailler" -
Selon un récent sondage réalisé par l'Institut Ibris, 88% des Polonais soutiennent cette mesure.
Cela inclut aussi bien Donald Tusk, qui a promis que son gouvernement examinerait la proposition "d'urgence", que ses principaux opposants du parti Droit et Justice (PiS).
Selon le ministère des Affaires sociales, environ 80% des Ukrainiens en Pologne travaillent ou cherchent activement un emploi dans ce pays de 38 millions d'habitants.
Mais pour certains, comme Natalia Kapoustina, reprendre le travail est simplement irréalisable.
"J'avais un très bon emploi en Ukraine", dit à l'AFP Mme Kapoustina, pâtissière et boulangère de profession.
La guerre a tout changé pour cette femme de 46 ans, son village, Tavrychanka, près de Kherson (sud), est occupé par les forces russes.
Mme Kapoustina a connu dix mois de l'occupation mais, son mari servant dans l'armée ukrainienne, y rester était devenu trop dangereux.
Elle s'est réfugiée en Pologne avec son fils de huit ans, Kostia, laissant derrière elle sa famille qui l'aidait à s'occuper de l'enfant qui souffre de douleurs chroniques aux jambes.
"Quand son état s'aggrave, et cela peut être dû par exemple à un changement de temps, ses jambes lui font très mal, il ne peut pas aller à l'école", indique Mme Kapoustina.
"La douleur vient généralement la nuit. Il peut rester dans cet état pendant une semaine. Et je ne peux pas travailler", insiste-t-elle.
- La Pologne "en profite" -
Ce sont des réfugiés comme Mme Kapoustina qui seront les plus touchés, affirme la militante Myroslava Keryk, responsable de "Notre Choix", la plus grande ONG ukrainienne en Pologne.
"Ceux qui ne travaillent pas (...) ce sont les personnes handicapées ou les parents d'enfants handicapés", indique-t-elle à l'AFP.
Son ONG fait partie des près de 50 organisations humanitaires qui ont envoyé un appel à M. Tusk, lui demandant de renoncer aux projets de réduction des prestations pour les réfugiés ukrainiens.
Dans cette lettre, les ONG mettent en garde contre "la tendance à utiliser le sujet des réfugiés ukrainiens à des fins politiques".
Le gouvernement polonais a déjà réduit d'autres aides prévues pour soutenir les Ukrainiens: une compensation financière pour ceux qui hébergeaient des réfugiés et une aide ponctuelle pour les réfugiés démarrant une nouvelle vie en Pologne.
Mme Keryk évoque une étude commandée par l'agence des Nations unies pour les réfugiés, publiée l'année dernière par le cabinet Deloitte, selon laquelle les réfugiés ukrainiens ont contribué en 2023 à jusqu'à 1,1% du PIB de la Pologne.
Pour elle, la conclusion est claire: "Le trésor polonais profite du fait que les réfugiés ukrainiens sont là".
"Ils louent des appartements, achètent de la nourriture et vivent ici, donc tout passe dans le budget de l'État ou dans les poches des Polonais qui dirigent des entreprises ici", souligne-t-elle.
A.Parmentier--JdB