Avec Trump, le whisky écossais redoute de trinquer à nouveau
C'est tout au bout de la route, sur une presqu'île sauvage battue par les vents: ici, on fabrique un whisky bio zéro carbone unique en Ecosse, qui séduit les Etats-Unis. Mais il faut désormais composer avec la menace Trump.
Le chantre de l'"America first" menace de taxer à tout-va: Mexique, Canada, Chine, bientôt l'UE et peut-être aussi le Royaume-Uni, qui a selon lui "dépassé les bornes" sur le plan commercial.
L'industrie du scotch --150 distilleries-- tremble depuis son retour, avec en mémoire les droits de douane de 25% imposés par l'Américain en 2019, qui ont, dit-elle, coûté 600 millions de livres en un an et demi.
Le jour même de la réélection de Donald Trump, le Premier ministre écossais John Swinney était à la manoeuvre pour éviter "à tout prix" que le whisky subisse les taxes promises cette fois sur l'ensemble des produits entrant aux Etats-Unis.
Cette agitation peut paraître éloignée de la petite distillerie Nc'nean, qui, quand le soleil s'éclipse, prend des airs d'oasis du bout du monde dans l'obscurité hivernale du Morvern, une péninsule quasi inhabitée.
Mais la jeune marque de l'ouest des Highlands s'est lancée depuis un an et demi aux Etats-Unis, au prix d'efforts insoupçonnés. Des taxes mettraient à mal son ambition d'y réaliser à terme un tiers de son chiffre d'affaires.
"C'est étrange les Etats-Unis, parce qu'il ne suffit pas d'entrer sur le marché pour être présent partout. Il faut le faire État par État", raconte Annabel Thomas, qui a quitté il y a douze ans son emploi de consultante londonienne pour se lancer.
- Cigare, fauteuil club, virilité -
L'entreprise possède aujourd'hui sa boutique en ligne américaine. Présente via des revendeurs dans 28 Etats, elle se concentre toutefois sur New York et la Californie, sensibles à son positionnement.
Car cette distillerie flambant neuve nichée dans des murs élimés, où flotte un délicieux parfum de caramel, affirme être la seule d'Ecosse à ne produire que du whisky bio, certifié zéro carbone, à base d'orge locale.
L'eau de refroidissement des alambics est recyclée, le verre des bouteilles aussi, l'énergie provient d'un four à biomasse où grésille un bois des environs immédiatement replanté, les résidus servent d'engrais.
Annabel Thomas dit vouloir s’affranchir d'une méthode de production "des années 70" pour clients "des années 80" --cigare, fauteuil club, virilité-- vision que "les pros du marketing des années 80 ont réussi à nous mettre en tête".
Tout est plus long, plus cher, plus difficile. Mais cette différenciation est "la clé" pour le marché US, raconte la sémillante quadragénaire au milieu de ses stocks: 4.500 tonneaux de seconde main en chêne, pour beaucoup rachetés à des producteurs de bourbon américain --dont le cahier des charges impose une utilisation unique.
Le fait que la marque ait été créée par une femme, une rareté dans le petit monde du whisky écossais, joue aussi un rôle, pense-t-elle. "Aux États-Unis, l'accent est davantage mis sur la diversité."
Des taxes américaines seraient indéniablement "une mauvaise nouvelle", mais tout dépend de leur portée: 25% serait difficile, 10% "beaucoup plus gérable".
"Nous réduirions probablement notre marge, en espérant une mesure temporaire", explique-t-elle, rappelant que Joe Biden avait rapidement supprimé les taxes trumpiennes.
Dans le cas contraire, son entreprise de 21 personnes, pas encore bénéficiaire, et qui met chaque année en tonneau l'équivalent de 300.000 flacons, se tournerait un peu plus vers l'Asie.
- "Racines écossaises" -
Rares sont les marques qui comme Nc'nean se risquent à évoquer l'imprévisible président, les Etats-Unis restant le premier marché d'exportation du whisky écossais: 1 milliard de livres par an.
Le géant Diageo (Johnnie Walker) a affirmé mardi dans ses résultats s'inquiéter des droits de douane, mais Pernod-Ricard (Ballantine's, Chivas Regal) ou William Grant (Glenfiddich) gardent le silence. Le lobby du secteur, la Scottish Whisky Association, ne confie rien de plus que sa réjouissance à l'idée de travailler avec l'Américain.
Ceux qui s'expriment, comme la ministre britannique des Finances Rachel Reeves, insistent sous forme de semi-boutade sur les "racines écossaises" de Donald Trump, dont la mère est née sur l'île de Lewis, tout au nord.
William Wemyss, propriétaire de Kingsbarns, au nord-est d'Edimbourg, souligne lui qu'en 2019, le scotch s'est retrouvé "pris au piège" d'un différend commercial entre Washington et Bruxelles. Or "cette fois-ci, le Royaume-Uni ne fait plus partie de l'Union européenne..."
Le président Trump s'est d'ailleurs dit dimanche "sûr" de pouvoir "trouver une solution" commerciale avec le Royaume-Uni, dont il affirme apprécier le Premier ministre Keir Starmer.
De quoi, pour l'instant, rester optimiste.
W.Wouters--JdB