Journal De Bruxelles - Victoire "historique" des victimes des déchets toxiques de la mafia en Italie

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Victoire "historique" des victimes des déchets toxiques de la mafia en Italie
Victoire "historique" des victimes des déchets toxiques de la mafia en Italie / Photo: Andreas SOLARO - AFP

Victoire "historique" des victimes des déchets toxiques de la mafia en Italie

Après des décennies d'un énorme scandale sanitaire, l'Italie a été condamnée jeudi par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour son inaction face aux dépôts de déchets toxiques par la mafia près de Naples.

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Les juges de la juridiction européenne installée à Strasbourg (est de la France) ont reconnu la responsabilité de Rome face aux activités illégales d'enfouissement et d'incinération par la mafia de déchets dangereux ayant provoqué une recrudescence de cancers au sein de la population.

"L'Etat italien n'a pas répondu à la gravité de la situation avec la diligence et la célérité requises, bien qu'il ait eu connaissance du problème depuis de nombreuses années", a estimé la Cour, pour qui Rome a violé l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit "le droit à la vie".

A l'unanimité, les juges ont donné deux ans à l'Italie pour "élaborer une stratégie exhaustive afin de répondre à la situation, mettre en place un mécanisme de contrôle indépendant et une plate-forme d'information publique".

L'une des avocates des requérants, Antonella Mascia, a salué "un arrêt historique". "Nous espérons que les autorités comprendront que cette décision (...) est une exhortation des autorités internationales à changer les choses", a-t-elle affirmé à l'AFP.

Pina Picierno, vice-présidente du Parlement européen et membre du Parti démocrate (PD, gauche, principal parti d'opposition italien), a appelé "le gouvernement et tous les acteurs institutionnels à collaborer pour mettre en oeuvre un plan luttant concrètement contre la pollution et sauvegardant le territoire et la santé publique".

Bien qu'en première ligne face à cette crise, ni le gouvernement, ni les autorités régionales n'ont réagi dans l'immédiat, pas plus qu'ils n'avaient répondu aux sollicitations de l'AFP avant la décision de la CEDH.

- "Terre des feux" -

Un territoire comptant près de trois millions d'habitants entre Naples et Caserte est surnommé "la terre des feux" en raison des nombreux sites illégaux d'incinération à ciel ouvert de déchets industriels, souvent importés du nord de la péninsule.

Depuis des décennies y sévit une pollution aux métaux lourds, dioxines et particules fines contaminant le sol, l'eau et l'air.

Un prêtre de la région en pointe dans la bataille juridique, le père Maurizio Patriciello, dont quatre parents sont morts de cancers, a tenu à dédier cette victoire juridique "aux nombreux enfants, adolescents et jeunes que le cancer a tués".

Lui-même placé sous protection policière, il voit dans le jugement une riposte aux "ignorants, complices et corrompus" ayant moqué et menacé les requérants.

Encore aujourd'hui, des tas d'ordures s'empilent le long des routes et dans les champs contaminés, sur lesquels paissent pourtant encore paisiblement moutons, chèvres et brebis.

Parmi les victimes, Miriam, 18 ans, qui vit avec les séquelles du cancer qu'on lui a diagnostiqué à seulement cinq ans. Son médulloblastome est une tumeur au cerveau qui frappe normalement 1,5 enfant par million d'habitants, mais "à l'hôpital il y avait trois autres cas venant d'Acerra", leur ville qui ne compte que 60.000 habitants, souligne sa mère, Antonietta Moccia, 61 ans.

- "De véritables monstres" -

L'un des requérants, Alessandro Cannavacciuolo, qui vient d'une famille de bergers, a raconté à l'AFP comment il a été alerté au début des années 2000 par la naissance d'"agneaux difformes, à deux têtes, avec deux langues, des queues sur le côté". "Nous n'avions plus des agneaux, mais de véritables monstres".

Lui aussi a perdu des parents et des amis, et la croisade de ce militant traquant et dénonçant les décharges illégales est éprouvante.

"On a tiré sur nos voitures, on a tué nos animaux, on a reçu des lettres de menace...", assure ce gaillard à la tignasse brune.

En 1997, le Parlement avait été informé par un repenti de la mafia de l'existence, au moins à partir de 1988, de l'enfouissement des déchets dangereux à grande échelle, mais ce n'est qu'en 2013 qu'il a adopté un décret-loi délimitant la "terre des feux".

Depuis, une kyrielle de commissions d'enquête parlementaires se sont succédé, confirmant la passivité voire la complicité de l'administration, l'absence de contre-mesures, et l'impact sur la santé des résidents avec notamment une augmentation des cas de cancers et de malformations fœtales et néonatales.

En 2018, la commission Hygiène et Santé du Sénat a estimé que l'activité de pollution criminelle et systématique générée, d'une part, par une chaîne de négligences, omissions et silences et, d'autre part, par l'absence totale de préparation à la prévention du phénomène de la part des autorités avait conduit à une véritable catastrophe écologique.

La corrélation entre la pollution et les cancers a été reconnue seulement en 2021 par l'Institut supérieur de la santé.

Y.Simon--JdB