Choc politique en Allemagne: le "cordon sanitaire" face à l'extrême droite s'effiloche
Un tabou est tombé: les conservateurs allemands et l'extrême-droite ont allié leurs voix mercredi pour faire adopter ensemble de justesse à la chambre des députés un texte visant à durcir la politique migratoire du pays, à quelques semaines d'élections législatives.
La motion, qui n'est pas contraignante mais a une haute valeur symbolique, a été proposée par les conservateurs, favoris des sondages pour le scrutin du 23 février, et soutenue par l'Alternative pour l'Allemagne (AfD, extrême droite), sans qui le texte n'aurait pu être adopté.
Il a recueilli 348 votes positifs, 345 contre et 10 abstentions.
La motion demande notamment que l'Allemagne refoule à la frontière tous les étrangers non munis de document d'entrée en règle, y compris les demandeurs d'asile.
Le texte a été déposé après une agression au couteau il y a une semaine imputée à un Afghan en situation irrégulière, qui a fait deux morts, dont un enfant de 2 ans, et a ébranlé l'opinion allemande.
En associant en toute connaissance de cause leurs voix à l'extrême droite de l'AfD sur ce texte, les conservateurs CDU/CSU - le parti de l'ancienne chancelière Angela Merkel (2005-2021) - ont brisé un tabou au niveau national, le jour même où le Bundestag a commémoré les 80 ans de la libération du camp d'extermination nazi d'Auschwitz (Pologne) et s'est recueilli à la mémoire des victimes du IIIe Reich.
Depuis la Deuxième guerre mondiale, les partis modérés traditionnels ont toujours exclu jusqu'ici une coopération avec l'extrême droite au niveau fédéral, maintenant ce qu'ils qualifiaient de "cordon sanitaire".
Le parti social-démocrate du chancelier Olaf Scholz a immédiatement parlé d'une "césure".
Les conservateurs de la CDU/CSU se sont "retirés du centre politique de cette assemblée", a déploré le chef de leur groupe parlementaire, Rolf Münzenich.
- "Une nouvelle ère commence" -
Sur les bancs de l'extrême droite au contraire, c'était la jubilation.
"C'est vraiment un moment historique", a déclaré le député Bernd Baumann. "Une nouvelle ère commence ici et maintenant" et cette ère sera menée par l'AfD, a-t-il ajouté.
Le chef des conservateurs Friedrich Merz, favori des sondages pour la chancellerie, a minimisé la portée du vote: "Je ne cherche pas d'autres majorités dans ce Bundestag que celles qui se trouvent au centre démocratique de notre parlement", a-t-il assuré.
Si une telle majorité n'a pas été atteinte mercredi, "je le regrette", a-t-il plaidé, après avoir toutefois dit être prêt à faire passer son texte grâce au soutien si nécessaire de l'AfD.
Vendredi, cet épisode connaîtra son deuxième acte, lorsque les conservateurs soumettront au vote des députés une proposition de loi limitant l'immigration et étendant les pouvoirs de police.
Avant le vote, le chancelier Olaf Scholz s'est inquiété mercredi d'une alliance "impardonnable" entre l'opposition conservatrice allemande et l'extrême droite. "Depuis la fondation de la République fédérale d'Allemagne il y a plus de 75 ans, il y a toujours eu un consensus clair de tous les démocrates dans nos parlements: nous ne faisons pas cause commune avec l'extrême droite", a-t-il dit.
- "Série d'attaques meurtrières" -
Les conservateurs affirment ne chercher aucune alliance à dessein avec l'AfD.
Friedrich Merz dit vouloir avant tout tourner définitivement la page de la politique d'accueil en vigueur depuis 10 ans dans le pays, qu'il juge laxiste.
Plus d'un million de Syriens et d'Afghans avaient trouvé refuge dans la première économie européenne en 2015 et 2016 sous le gouvernement d'Angela Merkel.
L'agression au couteau à Aschaffenbourg (sud), au centre des débats, a définitivement ancré l'immigration au coeur de la campagne, éclipsant les autres sujets.
Elle fait suite à d'autres actes de violences impliquant des étrangers ces dernier mois, avec notamment une attaque à la voiture-bélier sur le marché de Noël de Magdebourg (centre) qui a fait six morts en décembre, et une autre au couteau à Solingen l'été dernier, où trois personnes avaient péri.
Ce climat profite à l'AfD, créditée d'environ 20% des intentions de vote - deux fois plus que lors du précédent scrutin en 2021. Le parti reste loin derrière les conservateurs, qui rassembleraient 30% des voix, mais devant le SPD d'Olaf Scholz (15%) et les Verts (13%).
W.Lejeune--JdB