En Slovaquie, la colère gronde contre la politique prorusse de Fico
Motion de censure et manifestations massives, la Slovaquie est secouée par un mécontentement grandissant contre le tournant prorusse du Premier ministre Robert Fico, qui brandit en retour la menace de "coup d'Etat".
Des dizaines de milliers de personnes sont attendues vendredi soir dans les rues de Bratislava et 20 autres villes du pays d'Europe centrale de 5,4 millions d'habitants, à l'appel du collectif de citoyens "Paix pour l'Ukraine".
Le rassemblement, au nom de la "démocratie" et de l'appartenance à l'Union européenne, se déroule dans un climat tendu alors que M. Fico multiplie les accusations.
A l'occasion du débat cette semaine au Parlement sur une motion de censure finalement avortée, l'opposition ayant claqué la porte, il a sorti un rapport des services de renseignements pour corroborer ses dires.
"L'opposition slovaque se prépare à un Maïdan", a-t-il lancé à la tribune, en référence à la Révolution qui porta au pouvoir le camp pro-occidental en 2014 à Kiev. Elle est "prête à occuper le gouvernement en coopération avec des pays étrangers, au mépris des résultats des élections", a-t-il asséné.
Le responsable nationaliste de 60 ans a convoqué jeudi une réunion du Conseil de sécurité nationale où il a évoqué une situation "très grave" et "sans précédent", n'hésitant pas à parler de "préparation d'un coup d'Etat".
"C'est une histoire montée de toutes pièces", ont réagi sur Facebook les organisateurs des manifestations. "Ils veulent nous intimider (...) mais notre seul objectif est d'exprimer pacifiquement notre désaccord" avec la "direction que prend notre pays".
En réalité, selon ce collectif, "la vraie menace vient des manoeuvres d'interférence de son ami (Vladimir) Poutine".
- Dérive "autoritaire" -
Depuis son retour au pouvoir en octobre 2023 pour la quatrième fois, M. Fico, un des rares dirigeants de l'UE proches du Kremlin, a entrepris de resserrer les liens avec Moscou et a stoppé les livraisons militaires à l'Ukraine qu'il vilipende régulièrement.
Il s'est rendu en décembre dans la capitale russe pour y rencontrer le président et fustiger la décision de Kiev de couper le transit du gaz russe par son territoire, qui alimentait l'Europe via la Slovaquie.
Au lieu de s'occuper des problèmes du pays, "il voyage à travers le monde, se prosternant devant les dictateurs et se complaisant dans le luxe", souligne le chef de l'opposition libérale Michal Simecka, ironisant sur ses récents séjours en Russie et au Vietnam.
Des manifestations avaient déjà attiré une grande foule le 10 janvier dans l'ensemble du pays, sous le mot d'ordre "la Slovaquie n'est pas la Russie".
Dans ce contexte, certains évoquent déjà la possibilité d'élections anticipées.
La coalition gouvernementale, qui dispose d'une majorité étroite au Parlement (79 sièges sur 150), est "fragile", commente pour l'AFP Pavol Hardos, professeur de sciences politiques à l'université Comenius de Bratislava.
Robert Fico, à la tête du parti Smer-SD, s'est allié avec une formation qui a fait dissidence en 2020 appelée Hlas et le parti d'extrême droite SNS, sur la même ligne que lui dans beaucoup de domaines.
Le gouvernement "ne devrait pas tomber" dans l'immédiat, estime l'expert. En cas de nouveau scrutin, il prédit "un renforcement de la polarisation" dans le pays, où les tensions sont au plus haut depuis la tentative d'assassinat de Robert Fico en mai 2024.
Dans une lettre, plus d'une centaine de psychiatres et psychologues s'inquiètent du climat actuel, appelant le Premier ministre à "modifier son comportement et à envisager de se retirer".
"Vos actions génèrent des émotions négatives et divisent la société", écrivent les auteurs, déplorant "manipulation des faits", "mensonges" et "attaques" à répétition contre l'opposition et les médias.
Ils dénoncent aussi une dérive "autoritaire" sur le modèle de la Hongrie voisine de Viktor Orban et une politique étrangère qui va "à l'encontre des valeurs de l'UE et de l'Otan".
En 2018, M. Fico avait été contraint à la démission après l'assassinat d'un journaliste enquêtant sur la corruption de haut niveau, Jan Kuciak, qui avait déclenché les plus grandes manifestations depuis la chute du communisme en 1989.
R.Verbruggen--JdB