Journal De Bruxelles - Gouliaïpolé, la "capitale de l'anarchisme", en première ligne face aux Russes dans le sud de l'Ukraine

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Gouliaïpolé, la "capitale de l'anarchisme", en première ligne face aux Russes dans le sud de l'Ukraine
Gouliaïpolé, la "capitale de l'anarchisme", en première ligne face aux Russes dans le sud de l'Ukraine / Photo: Ed JONES - AFP

Gouliaïpolé, la "capitale de l'anarchisme", en première ligne face aux Russes dans le sud de l'Ukraine

Les bombardements ont défiguré la ville, l'infanterie russe est à un jet de pierre, mais le moral ne flanche pas : Gouliaïpolé, la "capitale de l'anarchisme" aux premières loges face aux troupes russes sur le front sud de l'Ukraine, affirme puiser dans son histoire pour repousser l'envahisseur.

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Dans ce bourg au charme suranné où les tulipes, rouges et jaunes, ressuscitent triomphalement depuis l'arrivée du printemps, le tonnerre des bombes, qui s'écrasent à intervalle régulier en périphérie immédiate, rappelle combien la guerre est proche.

La grande majorité des 16.000 habitants de cette localité, qui fut après octobre 1917 le centre d’un mouvement révolutionnaire paysan d'inspiration anarchiste, a fui.

Ils ont été en partie remplacés par des déplacés du Donbass, une région de l'est partiellement contrôlée depuis 2014 par des séparatistes prorusses et que Moscou veut impérativement reprendre. Pas un passant dans les rues. Les voitures sont rares.

Nombre de jolies maisons, aux jardins proprets, ont perdu leur toit, un pan de mur, ou bien plus. Tatiana Samolenka, une retraitée de 63 ans, venait de remettre ses poulets en cage quand elle raconte avoir entendu "un énorme sifflement".

"Je savais que c'était pour nous. Je me suis dit que ma maison serait ma tombe". Son mari, de l'autre côté de la rue, voit un engin "tomber accroché à un parachute", dit-elle, qui s'écrase juste derrière leur palissade, dans le champ voisin.

Un cratère de plusieurs mètres de largeur et de profondeur témoigne de son incroyable chance. "Une bombe identique est tombée le même jour, sans exploser, un peu plus loin. Nous l'avons bougée difficilement. Elle pesait 300 kilos", observe le maire Serguiï Iarmak.

- La "légende" Makhno -

Il y a quelques semaines, c'est une "bombe au phosphore" qui a embrasé le marais de ce bourg situé à l'est de Zaporijjia, assure-t-il. "C'était en plein jour, mais ça a fait comme un feu d'artifice". Si une grande zone noircie est encore visible, l'herbe qui a depuis repoussé autour empêche désormais d'imaginer l'ampleur de l'incendie, souligne l'édile.

Plus récemment, les troupes russes ont fait une percée en ville, avant d'être repoussées par les forces ukrainiennes.

"Gouliaïpolé tient et elle tiendra toujours", lance M. Iarmak, car elle puise sa force dans sa "légende" : son plus illustre fils, Nestor Makhno, un anarchiste charismatique, prit il y a un peu plus d'un siècle la tête d'une guérilla paysanne contre les troupes allemandes et autrichiennes qui occupaient alors l'Ukraine, mais aussi contre les forces "blanches" antibolchéviques.

Ce tenant d'une indépendance ukrainienne, connu pour ses improbables costumes et sa toque cosaque en peau de mouton, organisa des communes libertaires autogérées. Gouliaïpolé en était le centre. Elle est aujourd'hui encore surnommée la "capitale de l'anarchisme".

Mais l'Armée rouge, un temps son allié, se retourna contre Makhno. Lui et la "Makhnovchtchina", son armée "noire", furent battus. Contraint à l'exil, il mourut à Paris en 1934.

Les Russes "cherchent toujours à nous trahir", persiffle Serguiï Iarmak. Après le sale tour joué à Makhno, l'invasion de l'Ukraine déclenchée par Moscou le 24 février est cependant vouée à l'échec, d'après lui, car "nous sommes indépendants et libres". Particulièrement à Gouliaïpolé, où le Che Guevara local a sa statue, son musée, contribuant à attirer les touristes, raconte le maire.

- "Nous sommes têtus" -

Alors, puisqu'il n'y a plus de paix, le héros inspire la guerre. Les unités de défense locales se voient baptisées l'"arche Makhno", dit fièrement M. Iarmak. "Il y a quelques jours, des gars d'ici ont abattu deux hélicoptères", affirme-t-il, montrant à l'appui, sur son portable, une vidéo - dont l'AFP n'a pu vérifier la véracité.

La ténacité semble contagieuse parmi les civils restés en ville. Telle Svitlana Sokol, une professeure d'ukrainien de 54 ans, réfugiée depuis début mars dans le sous-sol de son immeuble après que des obus russes eurent soufflé une partie du bâtiment voisin et endommagé l'église du quartier.

Avec une vingtaine de voisins, elle a organisé une petite communauté qui repose sur "l'aide mutuelle", longtemps cantonnée sous terre. Mais avec le retour des beaux jours, le groupe, essentiellement des femmes, papote tranquillement au soleil, tandis que les explosions s'enchaînent, parfois très proches. Les positions des forces ukrainiennes ne sont qu'à quelques centaines de mètres.

"Nous savons exactement si les bombes partent de chez nous ou de chez eux", dit en souriant Svitlana. Juste avant de plonger précipitamment dans la cave après avoir reconnu un "Grad", cet engin tiré par un lance-roquettes multiple qui meurtrit l'Ukraine depuis le début de la guerre.

Pas de quoi toutefois l'impressionner. "Nous sommes têtus et nous irons jusqu'au bout", tonne-t-elle, citant Makhno et "l'esprit des cosaques". Et la quinquagénaire aux grosses lunettes d'ajouter, aussi bravache qu'hilare : "Nous sommes des gens extrêmes. Nous avons de l'adrénaline plein nos pantalons."

D.Verstraete--JdB