Entre les Etats-Unis et le Mexique, une opération massive d'aide aux réfugiés ukrainiens
Nadiya Ruyhynska n'a quasiment jamais voyagé hors d'Ukraine, même si sa fille vit à Seattle. Mais avec la guerre qui ravage son pays, cette ancienne infirmière de 55 ans s'est lancée dans un périple pour arriver à Tijuana, au Mexique, où une énorme opération a été mise en place pour aider des milliers d'Ukrainiens à traverser la frontière vers les Etats-Unis.
"Je suis contente, mais je ressens aussi de la tension", dit-elle une fois sur le sol américain, partagée entre la douleur d'avoir laissé sa mère en Ukraine et la joie de retrouver sa fille enceinte.
Des centaines d'autres Ukrainiens sont en train d'atterrir à Tijuana pour se rendre aux Etats-Unis, motivés par la récente promesse de Washington d'accueillir jusqu'à 100.000 réfugiés ukrainiens.
Leur voyage les emmène au Mexique, car ils ne peuvent pas atterrir aux Etats-Unis sans visa. Mais à la frontière, ils se voient accorder un permis humanitaire par les autorités américaines.
"Toutes les heures, les vols amènent des gens", affirme Pavel Savastyanov, un volontaire russe venu aider dans le centre mis sur pied à un point d'entrée de la ville frontalière de San Ysidro.
A leur arrivée à l'aéroport international de Tijuana, la première chose que voient les passagers est un drapeau ukrainien, flanqué de deux pancartes en cyrillique: "Bienvenue" et "Aide", pour les orienter vers un petit bureau où leurs noms sont notés afin qu'ils puissent aller à la frontière, avec une attente d'en moyenne deux à trois jours.
- "Pour réfugiés ukrainiens seulement" -
Une partie de l'aéroport est délimitée par un ruban jaune et des pancartes en anglais et en espagnol: "Pour réfugiés ukrainiens seulement". De la nourriture, des boissons et une section pour enfants, avec crayons et livres de coloriage, sont disponibles.
De là, ils sont emmenés vers l'un des quatre centres rapidement créés par des volontaires, avec l'appui des autorités mais aussi d'églises, dans la ville où pendant des années des milliers de Latino-Américains sont arrivés à la poursuite de leur rêve américain.
Comme beaucoup d'hommes interdits de quitter l'Ukraine pour contribuer à la lutte contre l'invasion russe, "mon père a dû rester", dit en retenant ses larmes Anastasiia Chorna, 15 ans, un énorme requin en peluche dans les bras.
"C'est littéralement la seule chose que j'ai pu amener", explique l'adolescente, qui a voyagé avec sa mère.
Son père, âgé de 41 ans, est resté à Kiev.
Certains hommes ont tout de même pu fuir.
"Je sais que j'ai commis un crime, mais je ne voulais pas combattre", dit un jeune homme de 25 ans, parti d'Ukraine avec sa compagne qu'il a épousée le jour où la guerre a éclaté. Il attend maintenant d'être appelé pour prendre le bus qui les emmènera à la frontière avec les Etats-Unis.
"Je n'ai jamais utilisé d'arme, c'est si différent de mon travail. Je ne pouvais pas tuer quelqu'un ou voir quelqu'un mourir, je ne pouvais pas", dit dans un anglais hésitant l'ingénieur, en baissant la tête.
Ceux qui ne maîtrisent pas l'anglais sont pris en charge par l'énorme réseau de volontaires, qui pour la plupart vivent sur la côte Ouest des Etats-Unis.
- "Nous voulons aider" -
"Nous parlons la langue et nous voulons aider le plus possible. Nous sommes à côté et c'est important pour nous", explique Liza Melnichuk, venue avec sa jumelle Maria. Les sœurs de 26 ans sont arrivées en Californie il y a 20 ans avec leur famille, qui avait fui pour des raisons religieuses.
Quand elles ont entendu parler de l'arrivée de réfugiés, elles ont pris leur voiture et parcouru les quelque 900 km jusqu'à Tijuana pour se joindre aux rotations de volontaires travaillant 24 heures sur 24.
Liza raconte avoir accueilli ses cousins fuyant Boutcha, la ville devenue synonyme de l'horreur de la guerre. Et Maria constate que les nombres ne font qu'augmenter: "mercredi nous avons accueilli quelque 300 personnes, aujourd'hui (vendredi) elles devaient être 700".
Un effort conjoint entre le Mexique et les Etats-Unis a mis à disposition de l'opération l'usage exclusif de ce qui est appelé la porte ouest de la frontière. Des autobus transportent des centaines de personnes tous les jours vers la ligne où elles sont reçues par les autorités mexicaines, puis traversent le pont qui les emmène côté américain.
Sur le sol californien, les larmes sont à la fois de tristesse et de joie.
Christina Ruyhynska enlace sa mère pour la première fois en trois ans. En larmes, les deux femmes conversent d'abord en ukrainien. Puis Christina demande à sa mère en anglais: "Prête à aller à la maison?".
G.Lenaerts --JdB