Parler à l'extrême droite ? Le dilemme des ONG écologistes à Bruxelles
La présence renforcée de l'extrême droite à la Commission et au Parlement européens embarrasse les ONG de défense de l'environnement, partagées entre leur volonté de peser à Bruxelles et leur combat contre toute forme de climatoscepticisme.
Parler ou pas avec l'extrême droite ? La question agite les militants écologistes dans la nouvelle configuration bruxelloise.
A la Commission, l'Italien Raffaele Fitto, membre du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, a obtenu une vice-présidence sur la cohésion des territoires et chapeaute les trois commissaires européens chargés de l'agriculture, de la pêche et des transports.
Avant qu'il ne soit confirmé à son poste, des ONG avaient écrit - en vain - à la présidente Ursula von der Leyen pour qu'elle renonce à lui confier de tels dossiers. Las, elles doivent maintenant composer avec un interlocuteur difficilement contournable.
Il va travailler sur des "sujets cruciaux pour la transition verte", souligne Tycho Vandermaesen, du WWF, l'une des plus grandes organisations environnementales. Sa nomination a été "approuvée par la majorité des députés européens. (...) Nous ne pensons pas qu'il soit approprié de mettre son veto", estime ce responsable associatif.
L'ONG entend donc discuter avec Raffaele Fitto comme avec n'importe quel autre commissaire et "évaluera" son action en faveur de la transition.
Chez Bloom, qui travaille sur la protection des océans, on a opté pour la position inverse. "On ne parle pas à l'extrême droite, on la combat", prévient Claire Nouvian, la fondatrice de l'association. "On laisse tous ceux qui s'embourbent dans la légitimation de l'extrême droite face à leur conscience".
En pratique, cette ONG ne compte pas s'adresser à Raffaele Fitto mais aux autres commissaires seulement. Et suit la même règle au Parlement européen, où elle travaille avec les eurodéputés de "l'arc démocrate", et pas avec les 187 parlementaires (sur 720) des trois groupes d'extrême droite, qui ferraillent régulièrement contre le "fardeau" des normes environnementales.
Ces élus "refusent de reconnaître le changement climatique et remettent constamment en cause le consensus scientifique", accuse Swann Bommier, un responsable de Bloom.
- "Entre gens déjà convaincus" -
Depuis les élections européennes du mois de juin, marquées par la poussée de l'extrême droite, les ONG redoutent un détricotage en règle du Pacte vert, adopté au cours de la précédente législature.
Et elles espèrent peser dans une série de négociations à venir, dont l'objectif affiché par la Commission européenne d'abaisser de 90% les émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne en 2040 par rapport à 1990.
Chez l'ONG Surfrider, engagée elle aussi sur la préservation des océans, on se positionne avec prudence vis-à-vis de l'extrême droite.
Pour un événement de sensibilisation au Parlement européen au mois d'octobre, l'association avait envoyé son invitation aux eurodéputés de gauche, du centre et de la droite mais aussi à ceux d'un des trois groupes d'extrême droite, ECR, considéré comme moins radical et avec lequel les forces politiques traditionnelles discutent de plus en plus.
Membre d'ECR et de Fratelli d'Italia, l'eurodéputé Michele Picaro était allé au rendez-vous et en avait fait la publicité sur les réseaux sociaux, non sans crisper certains militants écologistes...
La controverse à Bruxelles fait écho à une polémique en France au printemps 2023 quand le journaliste et militant écologiste Hugo Clément avait débattu avec le chef du Rassemblement national Jordan Bardella, au cours d'une soirée organisée par l'hebdomadaire d'extrême droite Valeurs actuelles
Des militants lui avaient reproché de servir de caution verte au RN ou de parler "avec l'extrême droite, chez l'extrême droite".
Hugo Clément avait balayé une "vision de la politique affligeante", qui conduit à "ne parler qu'entre gens déjà convaincus" par la cause écologiste.
"Qu'on le veuille ou non, Marine Le Pen a recueilli 41% des suffrages exprimés lors de la dernière présidentielle. Cela représente 13 millions de citoyens. Ne pas leur parler n'est pas une option envisageable", avait-il martelé.
Le journaliste a récemment poursuivi sur cette ligne pour appeler à la libération du militant écologiste Paul Watson, une figure emblématique de la lutte contre la chasse à la baleine, en détention provisoire au Groenland.
Sur les réseaux sociaux, Hugo Clément a félicité tous les élus qui ont soutenu Paul Watson, y compris le maire RN de Fréjus David Rachline.
Y.Callens--JdB