Avec ses films engagés, le cinéma africain se fraye une place à la Berlinale
Le Soudan du Sud, plus jeune pays du monde, fait ses débuts à la Berlinale avec un documentaire engagé qui, à l'instar d'autres films africains présentés au festival, se penche sur les soubresauts politiques et sociaux du continent.
Aucun réalisateur africain n'est en compétition pour l'Ours d'or qui sera remis mercredi soir au meilleur film de la compétition, mais plusieurs ont présenté des oeuvres remarquées dans les sections parallèles.
Dans son documentaire "No Simple Way Home", la réalisatrice Akuol de Mabior jette un regard très personnel sur l'histoire récente du Soudan du Sud en racontant son pays à travers l'héritage laissé par son père, John Garang, chef historique de la guerre d'indépendance contre le Soudan, tué en 2005 dans un accident d'hélicoptère.
Pour son premier long métrage, la trentenaire, née à Cuba mais qui a grandi au Kenya, donne la parole à sa mère et sa soeur en s'efforçant de trouver un sens et de l'espoir dans son pays de coeur, accablé par des années de guerres civiles et d'instabilité politique.
Ce documentaire vise à "générer des discussions sur ce que signifie, dans un contexte africain, le fait de se sentir chez soi dans son propre pays", explique Mme De Mabior à l'AFP.
"Au départ, je voulais faire un film sur ma mère, car l'histoire a tendance à oublier les contributions des femmes. J'avais le sentiment que l'on se souviendrait de mon père et j'avais peur qu'elle soit oubliée", ajoute la réalisatrice.
Indépendant depuis 2011, le Soudan du Sud est miné par la pauvreté et déchiré par des conflits communautaires et des luttes de pouvoir.
Entre fin 2013 et 2018 une guerre civile accompagnée de terribles exactions a opposé les forces du président Salva Kiir à celles de son adjoint Riek Machar, issus des deux principales ethnies Dinka et Nuer.
- Filmer la migration autrement -
Le film a pris un tour plus politique lorsque la mère de la réalisatrice, Rebecca Nyandeng, a été désignée en 2020 à l'un des postes de vice-présidents du gouvernement d'union nationale issu de l'accord de paix au Soudan du Sud.
"J'ai commencé à réfléchir plus largement à l'impact qu'elle pourrait avoir sur le pays, à la question de savoir si les dirigeants qui ont participé à la lutte pour la libération sont les bonnes personnes pour faire avancer les choses", observe Mme De Mabior.
"No Simple Way Home" est l'un des deux films présentés à la Berlinale dans le cadre de "Génération Afrique", projet finançant des documentaires offrant un nouveau récit sur la migration.
Le second s'intitule "No U-Turn" ("Pas de demi-tour possible"), du réalisateur nigérian Ike Nnaebue, pilier de "Nollywood", la puissante industrie du cinéma nigérian.
Ce cinéaste maintes fois primé reprend la route qu'il a empruntée, il y a une vingtaine d'années, quand il voulait rejoindre l'Europe.
Du Nigeria au Maroc, en passant par le Bénin, le Mali et la Mauritanie, il s'entretient avec des jeunes gens tentés par l'exil, qui évoquent leurs espoirs et les raisons les poussant à partir: pression familiale, chômage, contexte économique et social.
Lui avait à l'époque abandonné et fait demi-tour pour étudier la réalisation dans son pays natal.
- Casser les clichés -
Dans la section "Encounters", un autre documentaire émouvant, "Father's Day" du réalisateur Kivu Ruhorahoza, raconte le quotidien de trois familles du Rwanda et leurs déchirements.
Tour à tour, le spectateur fait la connaissance d'une mère qui tente de surmonter la perte de son fils décédé dans un accident et qui pour se protéger prend peu à peu ses distances avec son mari, d'un petit criminel qui aspire à transmettre la sagesse à son fils et d'une jeune femme s'occupant du père malade qu'elle n'a jamais vraiment aimé.
Parmi les courts-métrages, "We, Students !" sort du lot: réalisé par Rafiki Fariala, il dépeint la vie chaotique d'un groupe d'étudiants en économie à l'université de Bangui, en Centrafrique, deuxième pays le moins développé au monde selon l'ONU et en guerre civile depuis plus de huit ans.
Le film "n'est pas là pour changer le monde mais sert à raconter notre histoire, pour montrer qui nous sommes", déclare M. Fariala à l'AFP qui souhaite aussi casser les clichés sur l'Afrique: "nous avons aussi une autre histoire (...), du talent. Nous avons une autre façon de voir les choses".
S.Lambert--JdB