L'inflation dévore la patate du Pérou et le maïs du Mexique
"Sans patates, il n'y a pas de vie pour les Péruviens". Sans maïs non plus pour les Mexicains. De Lima à Mexico, l'inflation dévore le pouvoir d'achat des consommateurs de ces aliments de base, qui sont autant d'héritages culturels.
Plus qu'un produit, la "papa" au Pérou et la farine de maïs au Mexique représentent un lien avec le passé pré-hispanique des deux pays, et un indicateur de l'inflation galopante.
Chaque Péruvien mange en moyenne deux kilos de tubercules par semaine. Et 98,4% des Mexicains consomment des tortillas, petite galette à base de farine de maïs dont on fait entre autres des tacos avec des garnitures de viande, sauce, piment, légumes, ail et oignon.
A Lima, le prix des patates a été multiplié par trois depuis l'invasion russe de l'Ukraine et ses conséquences économiques en cascade, selon le ministère péruvien de l'Agriculture. Largement plus que l'inflation (6,13%).
"Les ventes sont très mauvaises", se désole Sonia Alanya, commerçante rencontrée par l'AFP au marché Santa Anita de Lima.
La pomme de terre de couleur jaune, la plus commune, vaut deux dollars le kilo contre 0,6 dollar auparavant, hors de prix pour de nombreux habitants de la capitale.
La blanche, utilisée pour les bouillons et les soupes, s'achète 0,75 dollar le kilo, deux fois plus qu'avant la guerre en Ukraine.
"Nous sommes tous préoccupés par la hausse", lance une autre commerçante, Sonia Yangale, 39 ans. "La +papa+ est importante, c'est comme l'air".
- Avant les Incas et les Espagnols -
Une famille péruvienne doit consacrer 60 dollars par mois au budget patates, à comparer au 376 dollars du salaire moyen en zone urbaine.
Il n'y a pas d'autre solution que de "diminuer la consommation", soupire Lucia Adrianzén, une femme au foyer de 69 ans. "Nous devons chercher des alternatives", ajoute Martha Guerreros, 61 ans, qui cite des plats à base de haricots ou de lentilles.
Les autorités s'inquiètent du manque d'engrais, dont la Russie est un grand exportateur. Le président de gauche Pedro Castillo a demandé le respect "du droit à l'alimentation" et la reprise des exportations du blé ukrainien et des fertilisants russes.
La culture des "papas" pré-existait à l'empire Inca au XVe siècle, de même que le maïs était le symbole des peuples méso-américains de l'actuel Mexique.
Dans le sud de la capitale Mexico, Laura Flores, 39 ans, continue de cultiver et récolter dans sa "milpa" (petite parcelle) les épis jaunes sans engrais, à la façon de ses ancêtres.
Le système des "milpa" et des moulins artisanaux résistent mieux à l'inflation que la production industrielle. Mais ce modèle traditionnel est insuffisant pour nourrir 126 millions de Mexicains (le pays a produit 27,4 millions de tonnes de maïs en 2021).
De nombreux producteurs de tortilla dépendent pour leur approvisionnement en farine de maïs des entreprises industrielles comme Maseca et Minsa qui sont cotées en bourse.
C'est ce secteur industriel qui a surtout été touché par les conséquences de la guerre en Ukraine, avec des répercussions directes sur le prix de la tortilla.
Le kilo est ainsi passé de 0,94 dollar à 1,05 dollar entre janvier et octobre, avec des pics à 1,25 dollar dans certains Etats du Nord-Ouest (Sinaloa, Basse Californie).
La hausse des denrées alimentaires est l'une des causes de l'inflation (8,7% sur 12 mois en septembre, un record en 20 ans).
Pour freiner l'inflation, le président Andres Manuel Lopez Obrador vient de signer un deuxième accord avec le secteur privé, dont les deux géants Maseca et Minsa, prévoyant entre autre un gel du prix de la farine.
Les petits producteurs de maïs sont de plus exposés dans le sud de Mexico à la menace d'une urbanisation galopante, combinée à la faible rentabilité des cultures.
"Il y a beaucoup de producteurs qui sèment, mais qui n'ont pas de retour sur investissement. Ils se disent qu'il est préférable de vendre", regrette Laura Flores, qui voit depuis sa "milpa" les constructions de Mexico et ses neuf millions d'habitants.
"Il y a quelques années, le Mexique était auto-suffisant en termes de haricots, de maïs. Plus maintenant", regrette-t-elle.
D.Verheyen--JdB