Musique: la variété "Respire encore" avec Clara Luciani
L'âge d'or de la variété française, époque Michel Berger-France Gall, a bercé Clara Luciani: nul héritage poussiéreux avec cette chanteuse, mais un souffle nouveau, comme dans son hit "Respire encore".
La formule de la jeune femme (qui aura 30 ans cet été) lui permet le grand écart entre public élitiste et audience populaire. Aussi à l'aise pour revisiter son répertoire avec un orchestre symphonique à l'Hyper Weekend, festival de Radio France, ou pour enflammer la scène des Francofolies à La Rochelle.
C'est en toute logique qu'elle a soulevé vendredi la Victoire de la musique dans la catégorie artiste féminine. C'est sa 3e Victoire après les trophées révélation scène en 2019 et artiste féminine en 2020.
La mise à jour du logiciel de la variété française qu'elle opère s'entend parfaitement dans son dernier album, "Cœur". Rencontrée par l'AFP, la chanteuse à frange décrit ainsi son morceau "Le chanteur" comme "une petite sœur" de "La groupie du pianiste" de Michel Berger.
"Sur le coup, je n'y pensais pas du tout, mais après coup, oui ça m'est apparu. Ces artistes (Berger, France Gall, etc.) font partie de mes playlists, celles que j'écoutais pendant le confinement", confie-t-elle.
"Mes goûts portent l'héritage d'une variété française un peu snobée par les gens de ma génération et par un certain élitisme parisien alors que j'ai toujours été très sensible à ces chansons-là", déroule l'artiste originaire de la ville provençale de Martigues.
- Auteure recherchée -
Sa griffe ne laisse personne indifférent et elle est devenue ces dernières années une auteure recherchée par d'autres, comme Julien Clerc, pour qui elle écrit deux textes sur l'album "Terrien".
Nulle nostalgie sous sa plume, mais un regard lucide sur l'époque. "Respire encore" peut ainsi s'entendre comme un hymne au lâcher-prise post-confinement, mais suggère également la lumière retrouvée après l'obscurité d'une prison intime. Un message fort et féministe qu'on trouvait déjà dans "La grenade", succès de son premier album au nom prédestiné "Sainte-Victoire".
"Je n'ai jamais voulu choisir entre grave et dansant, deux éléments qu'on retrouve dans des chansons comme +Marcia Baïla+ (cancer en toile de fond) ou +Le petit train+ (évocation de la Shoah) des Rita Mitsouko, ou +Heart of glass+ (rupture/harcèlement) de Blondie", développe-t-elle.
Le morceau-titre de l'album "Cœur" est dans la même ligne, un appel au dancefloor et une dénonciation des violences conjugales.
L'ambiance néo-disco de "Cœur" évite aussi le piège du regard dans le rétro. Pour soigner son emballage musical, Clara Luciani a collaboré avec des figures de la scène électro comme Yuksek ou Breakbot.
"Ce sont mes contemporains, ils contrebalancent des références que j'ai, très vintage, et permettent d'éviter l'écueil du pastiche ou de faire un disque des années 1970 dans les années 2020. Ils me reconnectent à la modernité, le disque est actuel".
- Succès long à se dessiner -
Ce recul sur son travail s'explique sans doute car le succès ne s'est pas fait en un jour pour cette chanteuse issue de la classe moyenne, mère aide-soignante et père employé de banque (à noter que sa sœur Léa - Ehla de son nom de scène - est également chanteuse).
Cette intime d'Alex Kapranos (chanteur de Franz Ferdinand) s'est longtemps cherchée artistiquement, en assurant au début des chœurs pour le groupe La Femme ou pour le chanteur Raphaël. Ce dernier explique à l'AFP qu'il a "assisté avec beaucoup d'admiration" à l'"épanouissement" de celle qui assura aussi pour lui guitares et claviers en tournées.
Clara Luciani, c'est l'histoire d'une explosion à retardement. Le premier opus "Sainte-Victoire" sort en avril 2018 mais il faut attendre près d'un an pour que "La grenade" éclate sur les radios à grande écoute.
Le titre trouve alors un bel écho dans le contexte #MeToo et s'inscrit dans le courant des nouvelles porte-voix du féminisme dans la musique, comme Angèle avec "Balance ton quoi" ou Suzane avec "SLT" (qui dénonce également le harcèlement de rue). Avec toujours, comme le dit Clara Luciani, ce "besoin de danser pour exorciser".
R.Cornelis--JdB