Des Hongkongais en quête de nouvelles compétences avant d'émigrer
Dans les entrailles d'un bâtiment industriel de Hong Kong, Eric Pun et une vingtaine d'autres élèves s'entassent dans une salle de classe pour apprendre à se servir d’une perceuse, acquérant ainsi de nouvelles compétences avant de partir à l'étranger.
Des entreprises avisées ont commencé à proposer des cours accélérés dans des domaines tels que le bricolage et la coiffure. Elles tirent profit de l'actuelle vague d'émigration, déclenchée par la répression contre toute dissidence à Hong Kong et les restrictions draconiennes contre la pandémie qui bouleversent l'économie.
Pour M. Pun, un infirmier de 35 ans sur le point de partir pour l'Australie avec sa famille, apprendre à bricoler est un moyen de faire des économies, mais aussi de se préparer mentalement à l'inconnu.
"A Hong Kong, s'il y a un problème, vous pouvez demander au concierge ou engager quelqu'un... mais quand ma famille vivra dans une maison, je devrai compter sur moi-même" pour effectuer les réparations courantes, explique-t-il à l'AFP.
Passer une journée à Renobro, l'une des rares entreprises à proposer ce type de cours, coûte 1.980 dollars de Hong Kong (250 euros) et les séances affichent complet des semaines à l'avance, selon le cofondateur de l'entreprise, Lau Chun-yu.
"Plus de mille personnes ont participé à notre cours", se réjouit M. Lau. "Lorsque nous avons commencé, nous ne nous attendions pas à ce que tant de personnes émigrent".
Le catalogue offre des formations d'une journée dans une quarantaine de domaines, tels que le calfeutrage, le plâtrage ou le recâblage des appareils. Les étudiants ont pour la plupart la trentaine. Parmi eux figurent des médecins et des enseignants.
"La plupart d'entre eux ne sont pas bien préparés, mais ils espèrent partir le plus vite possible", constate-t-il. Il cite la crainte que les pays étrangers actuellement ouverts aux migrants hongkongais ne finissent par leur fermer leurs portes.
- Fuite des cerveaux -
Hong Kong connaît actuellement un exode de talents locaux et étrangers. De nombreux résidents ont été refroidis par la répression entamée par Pékin après les manifestations pro-démocratie de 2019.
D'autres en ont assez des restrictions anti-Covid draconiennes qui ont coupé la ville du reste du monde pendant plus de deux ans et perturbent la vie quotidienne.
Le dernier recensement a montré une baisse record de la population de Hong Kong, qui a perdu au moins 200.000 habitants au cours des deux dernières années, à 7,29 millions. La population active a chuté à 3,75 millions, le chiffre le plus faible en près de dix ans.
Parmi ceux qui partent, beaucoup sont des familles avec des enfants en âge scolaire. Selon les derniers chiffres officiels, plus de 4.000 enseignants ont quitté leur emploi au cours de l'année scolaire écoulée, et de nombreuses classes ont été fermées.
Le Royaume-Uni est devenu l'une des destinations les plus prisées des Hongkongais. Estimant que Pékin avait renoncé à sa promesse, faite avant la rétrocession en 1997, d'accorder aux résidents des libertés et une autonomie essentielles, Londres octroie facilement des visas ouvrant la voie à la citoyenneté aux habitants de son ancienne colonie.
Depuis le lancement de ce programme britannique en janvier 2021, plus de 140.000 personnes ont déposé une demande.
Le Canada, l'Australie et les Etats-Unis sont également des destinations prisées, comme lors de la vague d'émigration qui avait précédé la rétrocession.
- "Je veux être préparée" -
De nombreux candidats à l'émigration ont confié à l'AFP être optimistes quant à leur future vie à l'étranger, mais également être inquiets quant à leurs chances de trouver du travail.
Dans la touffeur d'un après-midi d'août, Kimi Chau, 35 ans, et d'autres étudiants en coiffure ont amené des amis et des membres de leur famille dans le salon de où ils prenaient leurs cours, pour une cérémonie de remise des diplômes informelle et un adieu doux-amer.
Selon leur instructeur, Jason Yip, le secteur de la coiffure est relativement accessible dans la plupart des pays, et les Hongkongais peuvent y trouver un emploi facilement. Environ un tiers de ses étudiants prévoient d'émigrer, dit-il.
Mme Chau, détaillante dans le secteur de la mode, a appris la coiffure en vue de son déménagement en Grande-Bretagne, avec son mari et son enfant de cinq ans.
"Je veux être préparée afin de trouver un emploi après mon arrivée... Si je pouvais acquérir davantage de compétences avant de partir, et si ensuite l'occasion se présentait d'ouvrir une entreprise, je serais plus confiante", dit-elle.
Ce sont les inquiétudes concernant le climat politique et le système éducatif de Hong Kong qui l'ont poussée à partir, explique-t-elle. "Parce que j'ai un enfant, la question me touchait directement et je n'ai pas mis longtemps à me décider".
J.F.Rauw--JdB