Au Liban en crise, des sociétés de transfert d'argent comme alternative aux banques
Carte visa, échange de devises, liste de mariage: au Liban, les sociétés de transfert d'argent offrent des services auparavant assurés par les banques, qui ont drastiquement réduit la voilure depuis le début de la crise économique inédite.
"Ces sociétés nous facilitent la vie", dit à l'AFP Elias Skaff, devant une succursale de l'agence de transfert monétaire OMT à Beyrouth.
"Si vous recevez un transfert à la banque, vous mourrez cent fois avant de pouvoir l'encaisser", lâche cet homme de 50 ans, qui dit survivre grâce aux fonds envoyés par ses proches à l'étranger.
Depuis 2019, le Liban est plongé dans une profonde crise économique imputée par une grande partie de la population à la mauvaise gestion, la corruption, la négligence et l'inertie d'une classe dirigeante en place depuis des décennies.
La crise s'est caractérisée par des restrictions bancaires draconiennes empêchant les épargnants d'avoir librement accès à leur argent, tandis que la monnaie locale a perdu plus de 90% de sa valeur par rapport au dollar sur le marché noir.
Pour faire face à l'effondrement, les banques, naguère considérées comme un fleuron de l'économie, ont supprimé des milliers d'emplois, fermé des centaines de succursales et suspendu un grand nombre de services, notamment l'octroi de prêts.
- "Sans frais supplémentaires" -
Pour sa liste de mariage, Elie, 36 ans, a invité ses proches et amis à passer par la société de transfert d'argent WHISH Money plutôt que par les banques.
"Au lieu d'attendre des heures à la banque, souvent bondée, les invités peuvent envoyer de l'argent en ligne via une application", dit-il.
Pour payer les salaires de leurs employés, certaines compagnies se tournent elles aussi vers les sociétés de transfert de fonds.
"Au début de la crise, on était contraint de verser les salaires en espèces, ce qui nous faisait perdre beaucoup de temps", explique Rachelle Bou Nader, responsable dans une entreprise spécialisée dans la vente d'articles sportifs.
Aujourd'hui, sa compagnie fait affaire avec WHISH Money. "Nos employés peuvent désormais retirer leur argent facilement, sans frais supplémentaires", dit-elle.
Du côté des banques, les frais ont considérablement augmenté sur les services encore disponibles, notamment les virements en devises vers et en provenance de l'étranger, "leur seule source de revenus", selon Sami Nader, directeur de l'Institut du Levant pour les affaires stratégiques.
Au cours des six premiers mois de 2022, environ 250.000 Libanais ont reçu de l'argent en devises en provenance de l'étranger, indique l'agence OMT, qui précise que le nombre de transferts entrants au pays a augmenté de 8% par rapport à la même période de 2021.
Une croissance qui a poussé la société, qui détient 80% du marché de transfert d'argent hors secteur bancaire, à élargir ses activités. "Nous avons plus de 1.200 filiales à travers le Liban", affirme à l'AFP Naji Abou Zeid, membre exécutif du conseil d'administration d'OMT.
En 2021, la compagnie a lancé sa propre carte de paiement Visa. Ses clients peuvent échanger des dollars contre des livres libanaises, créer une liste de mariage, et payer différentes factures et taxes.
- Crise de confiance -
Pour Sami Nader, les sociétés de transfert d'argent fleurissent au Liban grâce aux envois des Libanais de la diaspora à leurs proches restés dans le pays, un marché juteux.
"Aujourd'hui, un jeune Libanais à l'étranger n'hésite plus à envoyer 100 dollars américains (environ 100 euros) à ses parents, car ça peut faire une différence", estime M. Nader.
Selon la Banque mondiale, le Liban fait partie des pays où le volume des remises migratoires en pourcentage du PIB est très élevé, atteignant 54% en 2021 et s'élevant à plus de 6 milliards d'euros par an.
Et la plupart de ces fonds ont été envoyés hors système bancaire, la confiance des Libanais envers leurs banques ayant été fortement ébranlée par la crise.
Les disputes sont d'ailleurs fréquentes entre clients en colère et employés des banques appliquant les consignes.
Le 11 août, un homme armé a retenu en otage des employés d'une banque à Beyrouth, réclamant le retrait de ses économies gelées pour payer les frais d'hospitalisation de son père, ce qui lui a valu d'être salué en héros par la foule.
"On ne peut même pas retirer une seule livre de la banque", s'insurge Alaa Cheikhani, 45 ans. "Pourquoi devrions-nous alors leur confier notre argent?", dit-il, en attendant de recevoir un virement devant une succursale d'OMT à Beyrouth.
H.Raes--JdB