En Guadeloupe, la mortalité "massive" des oursins noirs inquiète les scientifiques
En Guadeloupe, l'inquiétude des scientifiques monte. "Depuis deux à trois mois, on constate une mort rapide et massive des populations d'oursins diadème", explique Malika René-Trouillefou, biologiste à l'université des Antilles.
L'épizootie dont sont victimes ces oursins noirs, aux très longs et fragiles pics, a été signalée dans les eaux turquoises de toutes les îles des Caraïbes.
Avec d'autres partenaires tels que l'Etat ou l'Ifremer (l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), le laboratoire de l'unité Biologie des organismes et écosystèmes aquatiques (Borea) de l'université a donné l'alerte et s'apprête à lancer une "campagne d'échantillonnage" pour tenter d'identifier le mal qui frappe ces "hérissons des mers".
C'est peu dire que les scientifiques ont été pris par surprise par cette vague de décès: aucun d'entre eux n'a été en mesure d'observer des signes précurseurs de la maladie.
Appelés à la rescousse pour partager toute information utile via un site internet pour aider au relevé de situation des différents sites, les adeptes de la chasse sous-marine confirment sa soudaineté.
"Ça a commencé sur le site de Fery, vers Deshaies (au nord de la Basse-Terre, NDLR) avant de descendre vers la Côte Sous-le-Vent", raconte Elise Germain, plongeuse et salariée du club Anse Caraïbe Plongée, pour qui "l'hécatombe a été fulgurante. En une semaine on a vu les oursins passer de leur état normal à l'état de cadavre avec leurs épines autour, répandues sur le sol".
Selon les remontées de terrain qu'obtiennent les scientifiques, tous les sites ne sont pas concernés en Guadeloupe. Pour autant, la maladie préoccupe sérieusement la communauté scientifique.
Pas recherchés par les pêcheurs, "les oursins ont une part importante dans l'équilibre des récifs coralliens", observe ainsi Malika René-Trouillefou.
"Ce sont des herbivores qui participent à la régulation de la prolifération des algues marines", ajoute-t-elle, "avec d'autres poissons herbivores comme les poissons-chats ou perroquets qui peuplent les zones coralliennes autour des îles et qui sont également menacés, notamment par la pêche".
Selon un rapport de l'Ifrecor (Initiative française pour les récifs coralliens) paru en 2021 sur la santé des coraux dans les Outre-mer français, les algues qui se développent "entrent en compétition avec les coraux et réduisent leur capacité de recrutement corallien", c'est-à-dire la possibilité de se renouveler.
- Précédent dans les années 80 -
Selon plusieurs études, les récifs des Antilles sont globalement en mauvais état. "On estime qu'il reste 20 à 30% de coraux vivants dans nos régions", confirme Malika René-Trouillefou.
Et ils subissent de nombreuses pressions: le réchauffement climatique qui fait monter la température de l'eau, l'acidification des océans, responsable du phénomène de blanchiment, et celles causées par l'homme.
En Guadeloupe, un autre problème est venu se greffer à la pression touristique, celui de l'assainissement des eaux usées.
Selon le dernier rapport de l'Office de l'eau, seules cinq des 17 stations d'épuration et d'assainissement collectif respectaient les normes imposées par l'Etat.
Et "certains scientifiques expliquent que les normes de rejets en matière de nitrates et de phosphates, décidées notamment par l'Union européenne, ne sont pas adaptées à nos eaux car les seuils sont trop hauts", note Malika René-Trouillefou.
Ce constat nourrit une part des craintes de la communauté scientifique quant au mal qui frappe les oursins.
Dans les années 1980, une vague de mortalité similaire avait frappé les colonies d'oursins diadème (93% de mortalité) avant de disparaître petit à petit. "Sauf que les pressions ont augmenté depuis", avertit Mme René-Trouillefou et "pour l'heure, on ne sait pas comment l'ensemble de l'écosystème va réagir".
Une campagne de prélèvements doit être lancée sous peu pour tenter de déterminer les causes de cette vague de mortalité.
En 2020 déjà, le Parc national de la Guadeloupe avait alerté sur la présence d'une autre maladie, probablement d'origine bactérienne, détectée en Floride depuis 2014, qui avait frappé le corail dans la foulée d'un épisode de blanchissement.
Depuis, les services de l'Etat recommandent à tous les clubs de plongée de ne pas toucher les coraux et de décontaminer les matériels car cette maladie peut se propager par contact.
R.Cornelis--JdB