Canada: les ados à la rescousse d'un marché du travail en manque de bras
Elle prépare des glaces et gère la caisse comme si elle avait fait cela toute sa vie. De plus en plus de jeunes adolescents québécois, comme Sofia-Rose Adams, 13 ans, travaillent après l'école dans une région frappée par une importante pénurie de main d'œuvre.
"Voulez-vous votre reçu?", demande l'adolescente en souriant à un client du café-resto Les Gourmandes, dans la grande région montréalaise, où la jeune fille vient d'être embauchée plusieurs heures par semaine.
"Je voulais travailler pour avoir un petit emploi à temps partiel, faire des heures par-ci par-là, et aussi me faire un peu d'argent de poche", raconte à l'AFP Sofia-Rose, casquette bleue sur la tête et lunettes rondes sur le nez.
Pour elle qui se passionne pour la musique et le théâtre d'improvisation dans ses rares temps libres, c'est "normal de commencer à travailler" à son âge.
Au Québec, il n'y a pas d'âge minimal pour travailler, seule une autorisation parentale est requise pour les moins de 14 ans. Il n'existe pas non plus de limite sur le nombre d'heures travaillées tant que cela ne se passe pas pendant les heures de classe ou la nuit pour les moins de 16 ans.
Dans la cuisine des Gourmandes, d'autres adolescentes préparent des soupes. Au sein de cette petite entreprise québécoise, sept des huit employés ont moins de 18 ans.
"Après la pandémie, on s'est retrouvé avec des gros problèmes d'embauche", explique la propriétaire Marie-Eve Guertin, qui a dû se tourner vers les moins de 15 ans cette année pour la toute première fois en neuf ans.
"Pour les emplois à temps plein, c'est très difficile. Je n'ai aucun CV", déplore-t-elle, alors elle compte sur des ados pour garder la tête hors de l'eau. "Une entreprise, tu veux la faire grandir, tu ne veux pas la restreindre", affirme-t-elle, voulant éviter de réduire ses heures d'ouverture comme le font de nombreux restaurants.
- Une "spécificité" québécoise -
Dans la province francophone du Canada, où le taux de chômage est de 3,9%, le manque de travailleurs dans presque tous les secteurs d'activité incite les employeurs à faire preuve d'ingéniosité pour combler leurs besoins. L'embauche d'adolescents, et dans certains cas de pré-adolescents, s'impose parfois comme la solution.
S'il n'existe aucune donnée permettant de répertorier les moins de 14 ans sur le marché du travail, les statistiques révèlent cependant qu'un Québécois de 15 à 19 ans sur deux a un boulot.
"J'ai commencé sur le marché du travail à 14 ans", raconte pour sa part Philippe Marcil, 17 ans, aujourd'hui employé d'une boutique de vêtements pour hommes dans la banlieue de la métropole québécoise.
"J'ai compris jeune que c'était important de prendre de l'expérience sur le marché du travail, donc j'ai voulu expérimenter ça", explique à l'AFP celui qui a travaillé deux ans en tant que chef d'équipe dans une chaîne de restauration rapide.
Ce hockeyeur et fan de course à pied, qui aspire à devenir avocat, dit parvenir à trouver un "équilibre" entre vie sociale, travail et études en faisant "des agendas assez précis", qu'il s'efforce de respecter "le plus possible".
Très investi à l'école aussi, Philippe s'est imposé une limite de 15 heures de travail par semaine pour ne pas que sa vie professionnelle empiète sur ses résultats scolaires.
"Le travail des enfants a toujours été relativement présent au Québec, surtout si on compare aux pays européens", explique Charles Fleury, sociologue et professeur en relations industrielles à l'Université Laval.
"Qu'on soit un enfant de famille favorisée ou défavorisée, il y a vraiment cette espèce de valorisation du travail comme une démonstration d'autonomie", ajoute-t-il.
Mais ce qui est nouveau, c'est qu'avec la pénurie de main d'œuvre le type d'emploi évolue. Aujourd'hui, les adolescents ne se contentent plus de faire du baby-sitting, de distribuer des journaux ou de cueillir des fruits.
Et cette situation commence à inquiéter: récemment le ministre québécois du Travail Jean Boulet a expliqué qu'il ne trouvait pas "normal" que des enfants de 11 ans travaillent et a laissé entendre que le Québec envisageait de légiférer pour mieux encadrer le travail des plus jeunes. Ailleurs au Canada, la plupart des autres provinces ont légiféré pour instaurer un âge minimal.
Même si ces ados entrent sur le marché du travail de leur plein gré, "il y a quand même un risque de favoriser les échecs scolaires et le décrochage", estime en effet Charles Fleury, parlant d'une "situation à surveiller".
O.M.Jacobs--JdB