

En Tunisie, le propriétaire terrien et son oliveraie, symboles de la crise autour des migrants
Une fumée noire s'élève de son oliveraie mais Arselène Ben Farhat exulte. Le Tunisien vient de récupérer son champ, d'où ont été chassés les milliers de migrants qui l'occupaient depuis plus d'un an et demi.
"J'ai retrouvé le sommeil", dit-il à l'AFP tandis que des tractopelles ramassent ce qui reste des effets des migrants originaires de plusieurs pays d'Afrique subsaharienne.
"Ma joie est grande pour une raison simple, le retour du terrain dans le giron de notre famille. La terre est sauvée!", se réjouit-il.
Située près d’El Amra, dans le centre-est de la Tunisie, l’oliveraie de M. Ben Farhat est récemment devenue un symbole de la crise migratoire qui agite le pays.
- "Attachement" -
Le 6 août 2023, des personnes en situation irrégulière, arrivées en Tunisie avec l'Europe en ligne de mire, s'installent pour la première fois sur les 21 hectares de M. Ben Farhat.
Quelques mois plus tôt, le président Kais Saied avait affirmé que "des hordes de migrants subsahariens" menaçaient de "changer la composition démographique" du pays. La tension monte alors dans le pays contre les nouveaux arrivants, qui dénoncent des exactions.
La tragédie des migrants, qui finissent par être délogés en masse à l'automne 2023 de la grande ville de Sfax, près d'El Amra, et sont obligés de se réfugier dans les oliveraies dans des conditions insalubres, fait le malheur de M. Ben Farhat.
Ce professeur universitaire de 70 ans, qui a hérité du terrain de son père, pense que leur présence est "provisoire". Il engage malgré tout un avocat et fait constater l'occupation par un huissier.
Mais "ça a traîné", raconte-t-il, estimant que les autorités n'avaient pas la volonté d'agir.
"Ils venaient de prendre la décision de les déplacer" de Sfax et ne pouvaient se dédire, juge-t-il.
Impuissant, il observe le nombre de migrants, bloqués en Tunisie, augmenter autour de ses 350 oliviers.
La première année, il arrive à récolter les olives. En 2024, cela devient impossible.
"Il y avait une tente sous chaque arbre", raconte-t-i. En tout, selon les autorités, environ 4.000 personnes vivaient ici jusqu'à l'intervention de la police la semaine dernière.
Son père, mort en 2022 à 105 ans, entretenait "un attachement viscéral" à cette terre, affirme M. Ben Farhat.
"Heureusement qu'il n'a pas assisté" à l'occupation de l'oliveraie, lâche-t-il.
- "Leur victime" -
Bientôt, les migrants, confinés dans les champs, cassent des branches pour cuisiner ou les vendre comme charbon, raconte M. Ben Farhat.
Bien qu'il dise avoir ressenti de la compassion et reconnaisse leur précarité, la situation lui fait l'effet "d'une blessure" à "l'âme".
"Je les considère comme des victimes", affirme-t-il. "Mais moi, je suis devenu leur victime".
C'est fin mars, lorsqu'il se rend dans son oliveraie pour une inspection, qu'il décide de lancer "un cri" sur Facebook. Selon son récit, un groupe de migrants l'encercle et lui fait comprendre qu'il doit partir.
"Je suis devenu un intrus sur ma propre terre", s'étrangle-t-il.
Il reçoit notamment le soutien de la députée Fatma Mseddi, connue pour son discours incendiaire contre les migrants et ardente partisane du président Saied. Elle s'empare de l'affaire et contribue à la médiatiser.
Il y a quelques jours, la Garde nationale enclenche le démantèlement de la multitude de camps de fortune installés dans la région. Environ 20.000 personnes y vivaient, selon les autorités, qui disent préparer l'opération depuis un moment.
Tentes, effets personnels et réserves de nourriture sont brûlés. L'ampleur du dispositif, avec des dizaines de fourgons de police, suffit à disperser les migrants. Mais vers où?
Les autorités assurent que la plupart d'entre eux pourront bénéficier de "retours volontaires", tandis qu'une partie se dispersera "dans la nature".
Mais plusieurs migrants ont dit à l'AFP craindre d'être emprisonnés ou renvoyés dans le désert s'ils se présentent aux bureaux de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Et si certains veulent rentrer chez eux, d'autres espère encore rallier l'Italie.
Dimanche, le président Saied a défendu la gestion du dossier migratoire par la Tunisie, affirmant que les migrants — "des victimes, en fin de compte" — avaient été traités de manière "humaine".
W.Lievens--JdB