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La pénurie de médicaments en Colombie, symptôme d'un système de santé en crise
Entre problèmes d'approvisionnement en médicaments remboursés, pénurie mondiale de certaines molécules et système de santésous-financé, les Colombiens doivent s'armer de patience et de persévérance pour se soigner
Nataly Ahumada attend désespérément de recevoir des comprimés pour son fils atteint de handicaps multiples et d'une maladie qui provoque des crises d'épilepsie.
Son système d'assurance santé ne les recevant pas, elle se voit contrainte de les acheter de sa poche dans une pharmacie. Et ils sont coûteux.
Sans ses médicaments, Mateo Ahumada, 21 ans, "peut entrer dans un état de convulsion et dans un coma artificiel", explique sa mère depuis son appartement d'un quartier populaire du sud de Bogota.
Albenis Muse réclamait "un médicament qui était en attente depuis deux mois", destiné à son frère qui souffre de diabète, d'épilepsie et de problèmes de thyroïde.
"Le mois dernier, ils ne me l'ont pas donné. Ce mois-ci, je suis déjà venue trois fois" attendre sans succès dans longue queue devant le dispensaire.
Mais cette fois fut la bonne pour cette femme de 56 ans, enfin soulagée en quittant le dispensaire chargée de boîtes de comprimés, qui admet que la présence de journalistes a aidé à l'obtention des médicaments.
Cette crise du médicament, née d'une pénurie mondiale de molécules suite à la pandémie de Covid-19, s'est aggravée dans un pays dont le système de santé, semi-public, semi-privé, est asphyxié par le manque d'argent.
Le Forum économique mondial (ou Forum de Davos) avait mis en garde contre les pénuries dans plusieurs pays, la guerre en Ukraine affectant les "chaînes d'approvisionnement" et l'inflation.
- D'une pharmacie à l'autre -
En Colombie, des entités privées (EPS) servent d'intermédiaires entre l'Etat et les hôpitaux, gèrent les dossiers administratifs des affiliés, coordonnent leur accès aux services de santé et aux dispensaires pour la remise de médicaments.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2022, le président de gauche Gustavo Petro aspire à transformer ce système pour le rendre 100% public. Mais il n'a pas les mains libres au Parlement. Les experts s'accordent à dire qu'il doit être réformé, mais s'interrogent sur la manière dont le gouvernement prévoit de le faire.
Selon une analyse de Funcion Publica, un média colombien spécialisé, l'argent que l'Etat verse aux EPS pour les soins destinés aux patients est devenu insuffisant face à l'augmentation du prix des médicaments.
Clara Rodriguez, directrice de l'Association colombienne de l'industrie pharmaceutique, accuse les politiques gouvernementales d'avoir accentué le déficit des entités privées. Retards de paiement de laboratoires et d'importateurs ont "interrompu" la chaîne de livraison de médicaments, explique-t-elle à l'AFP.
De son côté, Gustavo Petro a accusé à plusieurs reprises les EPS de corruption, dénonçant un "vol permanent" de l'argent public.
Les patients sont les premiers à subir les conséquences des aléas d'approvisionnement.
José Gomez, 66 ans, n'a pas eu la même chance qu'Albenis Muse. "Parfois, j'attends cinq ou six heures, et il n'y a pas de file d'attente préférentielle pour les personnes âgées", souffle-t-il. Pour lui, prendre ses médicaments est vital: "si j'arrête, je risque un infarctus ou des problèmes de tension".
Une étude de l'organisme national qui veille au respect des réglementations du système de santé (Superintendencia de salud) montre que les réclamations pour défaillance de service ont augmenté de 130% entre 2019 et 2024.
- Un système "défaillant" -
Face à cette crise qui s'éternise et faute de solution, certains Colombiens - dont 98% sont affiliés à un organisme de santé, selon les données du ministère de tutelle - n'ont d'autre choix que de les acheter de leur poche, lorsqu'ils en ont les moyens.
"C'est vraiment terrible parce que je ne peux pas me le permettre", souffle Nataly Ahumada, la maman de Mateo. "Soit je réduis les dépenses pour la nourriture, soit les services ou le loyer. Je suis toute seule et si je décide de payer (pour les médicaments) je vais devoir priver mes autres enfants d'autres choses."
Les organisations de santé et syndicats dénoncent un système "défaillant" qui affecte particulièrement les patients souffrant de maladies chroniques, orphelines et rares.
Selon le Dr Ruben Luna, chirurgien et président de l'Association colombienne de transplantation d'organes, certains patients font face à un danger certain. Ce type de thérapie "ne peut être suspendu à aucun moment", affirme-t-il. Tout retard peut entraîner "la perte de l'organe" et peut mettre la vie du patient "en danger".
Fin janvier, la Cour constitutionnelle colombienne a déclaré "insuffisantes" les ressources allouées au financement de la santé, et a demandé au ministère de la Santé de les réajuster pour garantir des services de qualité à la population.
T.Peeters--JdB