En Roumanie, les difficultés économiques alimentent le vote d'extrême droite
A 65 ans, face à une inflation toujours galopante en Roumanie, Ana Sandu ne peut plus faire ses courses comme avant: dans ce quartier populaire de Bucarest, elle préfère venir au marché l'après-midi avant la fermeture, quand les prix sont au rabais.
La retraitée, qui a toujours voté pour les sociaux-démocrates, a peu d'espoir que les choses changent à l'issue des législatives prévues dimanche et présidentielles la semaine suivante.
Mais pour la première fois, elle est tentée par l'extrême droite.
L'ex-haut fonctionnaire Calin Georgescu, antivax et admirateur de Vladimir Poutine, est arrivé à la surprise générale en tête du premier tour de la présidentielle le 24 novembre. Un résultat qui a déclenché une onde de choc dans le pays - un des plus pauvres d'Europe - et sur tout le continent.
Avec quelque 400 euros de pension, elle dépend financièrement de son fils, qui travaille à l'étranger comme de nombreux Roumains qui ont émigré en quête de revenus meilleurs.
Les médicaments pour traiter son diabète et la maladie de Parkinson dont est atteint son mari coûtent déjà 300 lei (60 euros). S'y ajoutent au moins 130 euros en factures d'eau et d'électricité.
"Je ne pense même pas à acheter de la viande, je dois me contenter de légumes", lâche-t-elle en achetant un kilo de raisins au prix de 6 lei (1,20 euro), contre 20 le matin. "C'est un bon tarif".
- Vote populiste -
L'inflation a certes ralenti par rapport au pic de près de 14% en 2022, mais elle reste la plus élevée de l'UE avec un taux de 5,5% attendu à 2024 selon les estimations de la Commission européenne.
De quoi alimenter le vote anti-système.
Dimanche, quand les Roumains seront appelés à choisir leur Parlement, les partis de ce bord politique espèrent profiter du vent favorable, comme l'AUR (Alliance pour l'unité des Roumains), dont le candidat George Simion a recueilli près de 14% à la présidentielle.
L'extrême droite est créditée de 30% d'intentions de vote aux législatives, du jamais vu dans ce pays jusqu'ici à l'écart des poussées nationalistes qui ont marqué le reste de la région.
Le second tour de l'élection présidentielle est prévu le 8 décembre - sous réserve d'une décision favorable de la Cour constitutionnelle, qui a demandé un deuxième comptage du scrutin.
"Ces élections sont très importantes pour résoudre un des principaux problèmes économiques de la Roumanie: l'inflation", souligne Cristian Valeriu Paun, professeur de finance internationale à l'université économique de Bucharest.
Selon lui, celle-ci est étroitement liée à la dette, qui avoisine les 55% du produit intérieur brut (PIB) et se dégrade.
Parmi les solutions, il cite le combat contre l'évasion fiscale, l'accélération des réformes, la libéralisation du marché et la privatisation d'entreprises publiques dans un pays miné par la bureaucratie.
"Malheureusement, ces remèdes logiques demandent plus de temps que la Roumanie en a, et un gouvernement et un Parlement déterminés à les mettre en place", explique-t-il à l'AFP.
- "Espérer que ça ira mieux" -
Radu Burnete, directeur exécutif de la fédération patronale Concordia des sociétés privées, juge "qu'aucun candidat n'a ouvertement parlé de cet éléphant dans la pièce" qu'est le déficit.
Pour lui, le succès de l'extrême droite n'est pas seulement déterminé par les difficultés économiques: s'y ajoutent notamment la mauvaise qualité du service public et la piètre gestion des entreprises publiques.
"Face à la frustration, les candidats traditionnels n'ont pas réussi à convaincre et un nouveau visage est devenu attractif pour une grande partie de la population, malgré l'absence totale de bon sens économique dans son programme", estime-t-il.
Si le gouvernement actuel a renforcé la position de la Roumanie au sein de l'UE et de l'Otan, le pays doit aussi mieux s'occuper de son économie, soutient M. Burnete, évoquant un "besoin urgent de réformes".
Pour Adrian Dragnea, père d'un fils de trois ans, la situation n'est pas mauvaise - mais pourrait être meilleure.
"Nous n'avons pas de mal à survivre mais la vie n'est pas ce que nous aimerions", dit cet électeur de 39 ans qui travaille dans les services financiers, s'attendant à ce que "les difficultés durent".
"Les gens veulent que tout s'améliore du jour au lendemain", poursuit-il. "Tu ne peux pas faire grand-chose de plus que d'aller voter et espérer que ça ira mieux".
P.Mathieu--JdB