La reconnaissance du Laguiole, une quête du "graal" pour les couteliers de Thiers
Les couteliers de Thiers espèrent obtenir une indication géographique "Laguiole" regroupant leur territoire, dans le Puy-de-Dôme avec le célèbre village du nord de l'Aveyron, pour valoriser la production de leurs couteaux traditionnels vendus dans le monde entier.
Leurs confrères de Laguiole auraient préféré un label limité au nord de l'Aveyron, mais leur dossier a été retoqué par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) le 11 avril dernier.
Leur intention était de protéger leur savoir-faire et de lutter contre les copies venues de Chine et du Pakistan.
Ils ont fait appel du refus de l'INPI, selon lequel le territoire de fabrication du Laguiole doit être élargi au-delà de l'Aveyron.
Les artisans de Thiers, capitale de la coutellerie, qui produisent à la fois leurs propres couteaux de poche pliants - les Thiers-, mais aussi des Laguiole, ont pour leur part déposé fin janvier une demande englobant les deux territoires, en revendiquant un "savoir-faire implanté depuis plus de 150 ans dans le Massif central".
La production des Laguiole n'aurait pu survivre sans eux, font-ils valoir. Il s'agit donc de "rétablir l'Histoire et la vérité", comme l'a affirmé Aubry Verdier, le président du CLAA (Couteau Laguiole Aubrac Auvergne) en déposant cette demande.
"Faux!", répond Honoré Durand, le président du syndicat des fabricants aveyronnais.
"L'origine du Laguiole est à Laguiole. La demande de Thiers englobe d'ailleurs huit départements, alors qu'une indication géographique doit être attachée à un territoire bien défini", insiste-t-il dans un entretien avec l'AFP.
"On vole le nom d'un village pour le mettre sur des produits qui seront fabriqués à 200 kilomètres", peste-t-il, dénonçant "une tromperie du consommateur".
Signe de la sensibilité du dossier, le président du CLAA qui regroupe 38 professionnels de Thiers et de Laguiole - soit environ 400 emplois- refuse désormais de s'exprimer, dans l'attente de la décision.
"Nous avons toujours travaillé avec Laguiole et nous voulons continuer à le faire, main dans la main", tempère de son côté Yann Delarboulas, co-gérant de l'entreprise Fontenille Pataud, une manufacture de coutellerie fine fondée à Thiers en 1929.
Avec un chiffre d'affaires de 1,41 millions d'euros, son entreprise produit environ 4.000 couteaux par an, de la haute qualité faite essentiellement sur commande.
Le Laguiole représente plus de la moitié de son chiffre d'affaires: "A l'étranger, comme aux Etats-Unis ou au Japon, c'est 80%, car le Laguiole bénéficie d'une aura internationale et reste le couteau le plus connu", explique-t-il.
Dans sa forme traditionnelle, le Laguiole diffère des autres couteaux fermants par sa forme galbée et surtout son manche orné d'une abeille stylisée.
- "Récompense"-
La coutellerie Fontenille Pataud qui emploie 19 salariés, vient de s'installer dans les locaux rénovés d'une ancienne usine, au coeur du Creux de l'enfer, dans la vallée de la Dore en pleine renaissance, où se concentraient autrefois les usines de couteaux.
L'acier et le découpage des lames sont réalisés par des sous-traitants du bassin thiernois.
Chaque ouvrier fabrique ensuite son couteau de A à Z: montage, polissage, guillochage (ornement du manche), affûtage.
"C'est plus valorisant, on s'investit forcément plus", explique Aymeric Duvillaret, en changeant le manche d'un couteau sur lequel il a repéré un léger défaut.
Les matières des manches sont pour la plupart naturelles: bois, corne, ivoire, nacre. Deux exemplaires ont même été fabriqués à la demande d'un client avec... des morceaux de météorite.
"Le Laguiole, on le maîtrise en long, en large et en travers! Il nous fait vivre depuis toujours", raconte le chef d'atelier Jean-Paul Marques, 50 ans, qui fabrique des couteaux depuis l'âge de 17 ans.
De fait, avec les sous-traitants, plus d'un millier d'emplois dépendent du Laguiole à Thiers, selon le CLAA.
"L'indication (géographique), c'est un graal, c'est très important pour nous car c'est la récompense d'un travail de plusieurs siècles", souligne Yann Delarboulas, lui-même arrière petit-fils de coutelier.
"Ce serait aussi une reconnaissance du rassemblement de nos deux territoires, historiquement et économiquement parlant", ajoute-t-il.
Mais pour Honoré Durand, les deux territoires "ne luttent pas à armes égales".
"Thiers est une zone industrielle, Laguiole est un petit village rural de 1.000 habitants. Nous n'avons pas les mêmes contraintes et personne ne voudra fabriquer ici du Laguiole si la demande de Thiers est acceptée", assure-t-il.
La décision concernant la demande d'indication géographique déposée par Thiers n'est pas attendue avant plusieurs mois.
P.Renard--JdB