Henri Leclerc, pénaliste redouté et défenseur passionné des droits de l'homme
L'avocat Henri Leclerc, mort samedi à l'âge de 90 ans des suites d'un AVC, était un inlassable défenseur des droits de l’homme et le ténor des ténors du barreau.
Toute sa vie, ce fils d'un fonctionnaire des impôts et petit-fils d'instituteurs, a plaidé avec la même passion les grandes affaires criminelles et toutes les causes sociales, s'imposant comme une référence parmi ses pairs.
Fin 2020, celui dont la vue devenait défaillante avait donné ses ultimes plaidoiries.
"Oh, je ne suis pas un jeune avocat, vous l’avez bien compris... Dans quinze jours, il y aura 65 ans que je porte cette robe, de tribunaux en tribunaux, pour défendre beaucoup de coupables, beaucoup de coupables! Et simplement espérer qu’ils soient jugés comme des hommes. Et aussi quelques innocents...", avait-il dit en novembre de cette année à la cour d'assises et aux jurés de sa voix grave et ronde.
Au départ pourtant, pas de vocation chevillée au corps: avocat "n'est pas un métier auquel j'ai rêvé depuis l'enfance", avouait dans un documentaire télévisé ce vétéran du barreau de Paris qui a prêté serment le 15 décembre 1955.
"J'ai fait du droit sans très bien savoir quoi faire (...) et petit à petit, je suis devenu l'avocat pénaliste que j'ai fini par être".
Dans ses mémoires, "La parole et l'action" (Fayard), publiées en 2017, Henri Leclerc a décrit l'"ange" qui l'a accompagné tout au long de ses plaidoiries: "Il s'empare de moi, me souffle les mots et les phrases, et me quitte dès que je me tais".
Son pedigree d'avocat est impressionnant : il a plaidé pour deux lieutenants de Mesrine, Jacques Viguier, François Besse, Richard Roman, Véronique Courjault ou encore Dominique de Villepin dans l'affaire Clearstream... Il est intervenu en tant que partie civile dans l'affaire Omar Raddad, a défendu Dominique Strauss-Kahn dans l'affaire du Carlton de Lille.
Mais lorsque Henri Leclerc a débuté dans le métier, c'est vers d'autres combats que l'a conduit son engagement politique "fermement à gauche" : dès 1956, en pleine guerre d'Algérie où il a lui-même été envoyé servir, il a défendu des militants du FLN et du MNA (Mouvement national algérien).
Après eux, viennent les étudiants de Mai 68 -il est notamment l'avocat de Cohn-Bendit, Geismar, Sauvageot-, les mineurs du Nord, les pêcheurs bretons, les paysans en lutte, le journal Libération fondé par Jean-Paul Sartre... Henri Leclerc, silhouette massive et sourcils broussailleux, devient l'avocat de toutes les causes sociales.
- Unanimité -
De 1995 à 2000, il préside la branche française de la Ligue des droits de l'homme (il en était toujours président d'honneur), fort d'une certitude quant à la liberté d'expression : "Il s'agit d'un des droits les plus précieux".
L'avocat intervient avec la même fougue dans les débats sur le système judiciaire. Il a "toujours détesté" la prison, à "limiter au maximum": "J’ai vu comment elle transformait quelqu’un qui n’était pas forcément un délinquant en délinquant."
Il est un fervent opposant à la loi antiterroriste de 2017, et s'érige aussi contre "le délit de solidarité" en défendant l'année suivante des militants jugés pour avoir aidé des migrants.
Parfois comparé à un Cassandre, Henri Leclerc défend jusqu'à son dernier souffle les libertés publiques et les causes qui lui sont chères.
En février, il avait participé, parmi tant d'autres robes noires, à l'hommage à l'un de ses grands contemporains, l'ex-Garde des Sceaux Robert Badinter, mort à 95 ans.
En mai sur France Inter, il qualifiait de "mouvement du coeur" la mobilisation d'étudiants en faveur de Gaza dans les universités.
"Ce qu'il se passe à Gaza est quelque chose qui bouleverse. Personne ne conteste que le 7 octobre est une horreur absolue (...), mais la réponse qui est donnée est effroyable", avait-il lancé.
Dans une profession généreuse en coup de griffes entre personnes dotées d'un ego surdimensionné, Henri Leclerc est l'une des rares figures à faire l'unanimité.
Quel autre métier auriez-vous pu exercer ? l'interrogeait Le Figaro en 2017.
"Comédien ? Journaliste ? Je crois que j'ai une voix qui n'est pas trop désagréable. J'aurais tant aimé être musicien. Petit, j'ai joué du violon mais disons que je n'avais pas l'aptitude... Non, avocat, c'était inéluctable", avait-il répondu.
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O.Meyer--JdB