Des bières aux saveurs des Emirats dans la première micro-brasserie du Golfe
Dans un bar-restaurant d'Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis, Chad McGehee inspecte les cuves en acier dans lesquelles fermentent les premières bières du Golfe, où l'alcool a longtemps été tabou.
Cet expatrié américain de 42 ans est l'un des fondateurs de Craft by Side hustle, la seule micro-brasserie d'une région plus connue autrefois pour ses richesses pétrolières et son conservatisme que son tourisme.
Mais les temps ont changé dans l'émirat et Chad McGehee entend bien en profiter. "Nous espérons pouvoir faire d'Abou Dhabi une destination où les gens viennent pour la bière, comme en Allemagne, à New York ou à San Diego", dit-il à l'AFP.
Contrairement aux pays voisins où la consommation et la vente de boissons alcoolisées sont strictement encadrées, voire interdites, les restrictions ont été largement assouplies ces dernières années dans les différents émirats de la fédération, à l'exception de celui de Sharjah où l'alcool est toujours banni.
Abou Dhabi est toutefois le premier à passer le cap symbolique de la production, même si celle-ci ne peut être destinée qu'à la consommation surplace et reste donc très limitée.
- Bière au Karak -
Pour séduire les amateurs de bière dans un pays dont la population est composée à 90% d'étrangers, Craft by Side hustle, qui a ouvert il y a quelques mois, entend proposer plus de 75 saveurs différentes sur l'année, des plus traditionnelles aux plus inattendues.
Chad McGehee dit utiliser des ingrédients locaux, comme le miel ou les dates, et même travailler sur des bières aux arômes du Golfe, inspirées d'un célèbre dessert oriental, appelé Oum Ali, ou encore du Karak, un thé au lait épicé caractéristique de la région.
"Nous utiliserons du thé noir, du safran et de la cardamone (...) Dans le verre ça ressemblera à du Karak mais ce ne sera pas aussi crémeux", dit-il amusé.
L'entrepreneur avait déjà été le premier, en 2019, à créer une marque émiratie de bières et de spiritueux, Side hustle, avec un chameau distinctif dans le logo mais une production basée aux Etats-Unis. "A l'époque il n'était pas légal de produire ici", dit-il.
En 2021, les autorités d'Abou Dhabi ouvrent discrètement une brèche dans la réglementation, offrant aux établissements servant de l'alcool la possibilité d'obtenir "un permis de fermentation" pour fabriquer leurs propres boissons.
- "Incarner le changement" -
"Tout ce qui touche à l'alcool est très important car il rompt avec les interdits qui avaient été consolidés dans les années 1980 et 1990", souligne Alexandre Kazerouni, maître de conférence à l'Ecole normale supérieure.
La plupart des dirigeants du Golfe avaient opté à l'époque pour une ligne conservatrice, afin d'endiguer la menace d'une éventuelle contestation du pouvoir au nom de l'islam, inspiré de la Révolution islamique en Iran, explique ce spécialiste du Golfe.
Ce n'est qu'à partir des années 2000 qu'Abou Dhabi commence à véhiculer une image plus libérale, assouplissant progressivement les règles sociales, notamment sur la consommation d'alcool.
Expatrié aux Emirats depuis 17 ans, le Britannique Andrew Burges dit avoir été témoin de cette évolution. Mais "quand je rentre dans mon pays, on me demande encore parfois si on peut boire là-bas", raconte-t-il en dégustant une bière à Craft by Side hustle, un projet qui peut selon lui contribuer à modifier la perception d'Abou Dhabi à l'étranger.
L'enjeu est de taille pour la capitale qui vise à attirer 39,3 millions de touristes en 2030, contre 24 millions en 2023 en incluant les visiteurs venant pour la journée du célèbre émirat voisin de Dubaï, qui a développé son offre touristique beaucoup plus tôt.
Mais la concurrence ne se limite pas aux Emirats arabes unis, la plupart des Etats pétroliers de la région cherchant à attirer expatriés et touristes pour diversifier leurs économies.
"Il y a une concurrence aussi avec le Qatar et l'Arabie saoudite sur qui va incarner le changement dans la région", souligne Alexandre Kazerouni.
L'Arabie saoudite, qui abrite deux des lieux les plus saint de l'islam, a ouvert en janvier son premier magasin d'alcool, réservé aux diplomates non musulmans. Mais la consommation de boissons alcoolisées est toujours interdite pour les autres habitants du royaume, et devrait le rester, a affirmé récemment son ministre du Tourisme.
J.M.Gillet--JdB