En Cisjordanie occupée, les bergers aux avant-postes des colons
En Cisjordanie, des agriculteurs palestiniens affirment assister impuissants à l'accaparement de leurs terres par des bergers juifs qui conduisent leurs troupeaux dans ce territoire occupé par Israël pour s'installer dans des "avant-postes" illégaux.
De très loin, depuis son village de Deir Jarir, Haidar Abou Makho, 50 ans, regarde, dépité, les moutons des colons qui paissent sur une colline herbeuse, dans la région de Ramallah.
Cette terre "appartient à mon grand-père et à mon père et est censée être transmise de génération en génération", regrette-t-il.
Mais "ce berger, qui est un colon (...) m'a empêché d'accéder à ma terre" où on peut voir des bungalows et des voitures de colons, le tout entouré d'une clôture métallique.
Trois millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967, et près de 490.000 Israéliens y sont installés dans des colonies considérées comme illégales au regard du droit international.
Ce territoire est le théâtre depuis deux ans d'une flambée de violences, exacerbées par l'attaque le 7 octobre de commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza dans le sud d'Israël, qui en représailles a déclenché la guerre contre le mouvement islamiste palestinien au pouvoir depuis 2007 dans la bande de Gaza.
Les forces israéliennes mènent des raids quasi quotidiens en Cisjordanie occupée, disant vouloir lutter contre des groupes armés palestiniens, sur fond d'attaques menées par des Palestiniens contre des cibles israéliennes, ainsi que de violences commises par des colons israéliens à l'encontre de Palestiniens.
- "Extrémistes" -
Des groupes de défense des droits humains ont imputé aux colons religieux et nationalistes purs et durs la responsabilité de la recrudescence des attaques, mais aussi de l'accaparement des terres des Palestiniens.
Parmi les plus radicaux figurent les "jeunes des collines", souvent des adolescents qui ont abandonné l'école et rêvent de coloniser toute la Cisjordanie, qu'ils considèrent comme une partie de la terre biblique d'Israël.
Selon l'analyste israélien Elhanan Miller, ces bergers sont des "extrémistes de droite qui s'installent illégalement sur les terres palestiniennes", principalement dans le sud de la Cisjordanie et dans la vallée du Jourdain.
M. Miller a expliqué à l'AFP que nombre d'entre eux étaient des jeunes "marginalisés" qui ont quitté l'école prématurément et élèvent des moutons et des chèvres pour s'emparer de terres et de ressources naturelles.
Des ONG affirment que les colons installés dans les avant-postes de bergers sont armés et ont utilisé des chiens d'attaque et des drones pour menacer et agresser des Palestiniens, tuant parfois leur bétail et détruisant leurs biens.
Les colons ont été particulièrement actifs autour de Deir Jarir, village d'environ 5.000 habitants, selon des habitants.
- "Sans défense" -
"En installant un berger avec un troupeau de moutons au sommet d'une colline, une partie considérable de la terre est saisie (...), empêchant les Palestiniens d'y accéder", a dénoncé l'un d'eux.
Il a ajouté que les colons s'étaient "emparés" des maisons et des tracteurs, ainsi que des chevaux et des ânes, "des outils vitaux et des symboles de la vie agricole traditionnelle palestinienne".
L'ONG israélienne Peace Now a indiqué que depuis le début de l'année, Israël avait saisi plus de 1.000 hectares de terres en Cisjordanie.
L'association israélienne de défense des droits humains B'Tselem a estimé de son côté dans un rapport en mars, que les attaques de colons s'étaient multipliées en Cisjordanie, affirmant que ces derniers bénéficiaient du soutien des forces de sécurité israéliennes.
"Grâce à la coopération et à la collaboration entre l'armée, la police et les colons (...), Israël a réduit les zones de pâturage accessibles aux Palestiniens, bloqué l'approvisionnement régulier en eau et pris des mesures pour isoler la vallée du Jourdain du reste de la Cisjordanie", selon B'Tselem.
Près de Deir Jarir, les habitants du village voisin de Taybeh affirment être aussi incapables d'accéder à leurs terres, "envahies par de nombreux bergers des collines", a déclaré Souleiman Khouriyeh, maire de cette commune de 1.800 habitants.
Les habitants n'ont "ni le pouvoir ni la force pour affronter des colons lourdement armés", a-t-il dit. "Nous sommes sans défense face à eux et à leurs armes."
S.Lambert--JdB