

Ubisoft joue son va-tout avec la sortie du nouvel Assassin's Creed
L'industrie du jeu vidéo retient son souffle: le géant français Ubisoft lance jeudi son plus gros projet, "Assassin's Creed Shadows". En cas d'échec, c'est l'avenir de l'entreprise et la stabilité du secteur en Europe qui sont menacés.
Une telle fébrilité dans l'industrie, "je n'avais jamais vu ça", confiait à l'AFP Charles-Louis Planade, analyste chez Midcap Partners, quelques jours avant la sortie du nouvel épisode de cette série entamée en 2007.
Depuis 2020, Ubisoft, l'un des plus gros acteurs du jeu vidéo dans le monde avec près de 18.000 employés, a connu une longue série de revers: lancements décevants, chute du cours de Bourse, scandales de harcèlements sexuel et moral visant d'anciens cadres, mouvements de grève...
Désormais au pied du mur, le groupe mise sur sa saga phare pour se relancer avec un opus très ambitieux ancré dans le Japon féodal.
Près d'une vingtaine de studios et des centaines de personnes ont travaillé dessus pendant près de cinq ans, pour un budget de plusieurs centaines de millions d'euros, selon certaines estimations.
Plutôt bien reçu par les critiques, "Assassin's Creed Shadows" - commercialisé sur PC, PS5 et Xbox Series - affichait mercredi une note "globalement favorable" de 81 sur 100 sur le site d'agrégation d'avis Metacritic, soit un point de plus que l'épisode "Valhalla", sorti en 2020 et plus gros succès de la série.
Pour le journaliste américain Stephen Totilo, "Shadows" est le volet le "plus beau" et le "plus agréable à jouer", tandis que le site spécialisé IGN salue un très bon épisode qui ne "réinvente pas totalement" la formule.
- Effet boule de neige -
Ce manque de renouveau pourrait finir par "lasser certains joueurs", redoute Julien Pillot, économiste spécialiste des industries culturelles.
Pour lui, les récentes contre-performances d'Ubisoft sont "peut-être le signe d'un désamour du public pour ses jeux".
"Tout le monde croise les doigts pour que cette sortie soit un énorme succès", souligne M. Planade, qui anticipe un effet boule de neige pour toute l'industrie européenne en cas de mauvaises ventes.
Avec environ 4.000 salariés en France sur les 15.000 que compte le secteur, "Ubisoft est la locomotive du jeu vidéo" dans ce pays, rappelle en outre l'analyste.
L'entreprise sert régulièrement de tremplin en sortie d'école et bon nombre de ses anciens employés ont fondé des studios en France et à l'étranger.
Pour sortir la tête de l'eau, elle a entamé début 2023 un plan de réduction des coûts, entraînant des fermetures de studios et le départ de près de 2.000 salariés.
- "Plusieurs options" pour l'avenir -
Malgré cela, le groupe n'a pas réussi à rebondir sur les marchés financiers. Alors que son action s'échangeait à plus de 100 euros il y a dix ans, elle a atteint en septembre son niveau le plus bas, à 9,01 euros. Mercredi, malgré les premiers échos favorables de la presse autour de "Shadows", elle a encore lâché 5,58% pour s'établir à 12,60 euros.
Cette situation, dans un secteur en pleine crise de croissance depuis deux ans, a poussé Ubisoft à annoncer en janvier qu'il étudiait désormais "plusieurs options" pour son avenir, entraînant bon nombre de spéculations.
Si un rachat conjoint avec le géant chinois de la tech Tencent - qui possède 10% de son capital - pour sortir l'entreprise de la Bourse a été évoqué dans un premier temps, plusieurs médias rapportent désormais la possible création d'une nouvelle entité, recentrée sur les marques phares du groupe, qui céderait le reste de son catalogue.
"Toutes les options sont sur la table", résume M. Planade, pour qui le rapport de force dans la négociation sera en grande partie déterminé par le succès de "Shadows".
E.Janssens--JdB