Musk, le coup de force au coeur de l'Etat américain
C'est une entreprise inédite dans l'histoire des Etats-Unis et peut-être des démocraties occidentales: Elon Musk, soutenu par Donald Trump, bouleverse le fonctionnement de l'Etat fédéral américain, sans mandat électoral, sans portefeuille de ministre, et sans autre supervision que celle du président américain.
L'homme le plus riche du monde "ne peut pas et ne pourra pas" faire quoi que ce soit "sans notre accord," a assuré lundi Donald Trump, interrogé sur le rôle du patron de Tesla, SpaceX et X, à la tête d'une commission pour l'efficacité gouvernementale, le "Department of government efficiency" (DOGE).
Un journaliste lui a ensuite demandé s'il approuvait la méthode très interventionniste de son allié, qui a pris le contrôle de certains leviers administratifs très sensibles, comme le système de paiements du Trésor, et le président n'a guère laissé de place au doute.
"Pour l'essentiel, oui. S'il faisait quoi que ce soit qui n'a pas mon accord, je vous le ferais savoir très vite", a-t-il ajouté.
Dans la nuit de dimanche à lundi, c'est Elon Musk lui-même qui a annoncé le démantèlement de l'Agence américaine pour le développement international (USAID), dotée d'un budget annuel de 40 milliards de dollars.
"Nous la fermons", a-t-il dit sur son réseau X. "J'en ai parlé en détail (avec Donald Trump) et il est d'accord".
- "Un test" -
"Personne n'a élu Elon Musk", s'est indignée la sénatrice démocrate Elizabeth Warren sur le réseau Bluesky.
"Musk et ses employés privés essaient de fermer une agence créée et financée par le Congrès. (...) C'est un test. Le Congrès doit utiliser ses pouvoirs, ou perdre ses pouvoirs", a averti un autre élu démocrate, Jason Crow, sur X.
Le rôle du multimilliardaire, lui-même bénéficiaire de gros contrats fédéraux, échappe au fonctionnement institutionnel habituel.
"Les présidents ont souvent eu des conseillers informels du monde des affaires mais le rôle quasi-officiel d'Elon Musk et ses affirmations selon lesquelles il agit au nom de (Donald Trump) pour prendre des décisions (...) est, à ma connaissance, sans précédent", a déclaré à l'AFP Jeffrey Lubbers, professeur de droit à la American University.
Malgré son nom de "department", désignant les ministères fédéraux, DOGE est en réalité un organisme de conseil externe placé sous l'autorité directe de Donald Trump et à durée limitée - il doit cesser d'exister le 4 juillet 2026.
Pendant la campagne, Elon Musk avait assuré pouvoir réduire la dépense publique fédérale de 2.000 milliards de dollars. Il a depuis revu ses intentions à la baisse et parle de 1.000 milliards de dollars, une somme qui reste absolument colossale.
Le grand patron, qui n'a pas de mandat électoral, devra-t-il rendre des comptes au Congrès, détenteur du pouvoir budgétaire? Est-il soumis à de quelconques règles déontologiques, au même titre qu'un ministre ou d'autres grands commis de l'Etat? Rien n'est moins sûr.
Cette opacité suscite une vive discussion sur de potentiels conflits d'intérêt, puisqu'il pourrait faire des recommandations ayant un impact direct sur ses entreprises, de l'automobile au numérique en passant par l'espace.
La presse américaine fait état de tentatives, plus ou moins brutales, de jeunes employés de DOGE pour forcer l'entrée de certains bureaux ou systèmes informatiques d'agences fédérales.
- Paiements -
Selon plusieurs médias, le haut fonctionnaire du Trésor en charge des paiements de tout l'Etat fédéral, qui supervise le versement de milliards de dollars en prestations sociales, salaires et autres règlements de factures, a été écarté parce qu'il s'opposait aux lieutenants d'Elon Musk.
Lequel a finalement obtenu l'accès à ce système et ainsi aux données personnelles et financières de centaines de millions d'Américains.
"Le seul moyen d'arrêter la fraude et le gaspillage de l'argent des contribuables est de suivre les circuits de paiement et de suspendre les transactions douteuses. C'est évident", a-t-il justifié sur X.
Les fonctionnaires fédéraux sont la cible d'une mesure après l'autre depuis le 20 janvier, chacune portant la patte de l'homme d'affaires de 53 ans: fin du télétravail sous peine de licenciement, plan de départs volontaires, fin des politiques de diversité.
Dans une tribune publiée le 20 novembre dernier par le Wall Street Journal, Elon Musk avait dit qu'il travaillerait "comme un entrepreneur".
Le patron de Tesla a raconté qu'il dormait à l'usine pendant des périodes chargées pour le constructeur automobile. Selon le site Wired, il a confié à des amis faire la même chose désormais au siège de DOGE, dans un imposant bâtiment administratif jouxtant la Maison Blanche.
P.Renard--JdB