Un château dans la favela, l'oeuvre inachevée du "Gaudí brésilien"
Des faïences multicolores et des assiettes incrustées dans la pierre: le "petit château" bâti dans une favela de Sao Paulo au long de quatre décennies a valu à Estevao Silva da Conceiçao le surnom de "Gaudí brésilien".
Comme la Sagrada Familia, basilique emblématique de Barcelone conçue par le célèbre architecte catalan et en construction depuis plus de 140 ans, cet édifice bariolé de quatre étages bâti à flanc de colline est une oeuvre inachevée.
"Cela fait 39 ans que je fais ça, c'est l'oeuvre de ma vie. Je ne sais pas si je vais la terminer avant ma mort, Dieu seul le sait", confie à l'AFP l'ancien maçon et jardinier de 67 ans.
Surnommé "Castelinho" (petit château) par les habitants de la favela de Paraisopolis, cette bâtisse aux courbes tortueuses est devenu une attraction touristique pour sa ressemblance frappante avec une autre oeuvre célèbre d'Antoni Gaudí (1852-1926), le Park Güell.
Et pourtant, le Brésilien assure ne jamais avoir entendu parler du génie catalan avant de commencer à ériger son château sur un terrain d'à peine 60 m2 dans ce quartier pauvre où vivent plus de 100.000 habitants.
"J'ai fait une oeuvre qui ressemble à celle de Gaudí sans le copier. C'est juste sorti de mon esprit", assure-t-il.
"Je n'ai jamais fait d'études, mais j'ai réussi à faire une oeuvre d'art", se félicite cet homme noir à l'épaisse moustache poivre et sel.
- Voyage à Barcelone -
La ressemblance du "Castelinho" avec le style de Gaudí a eté découverte par un étudiant au début de ce siècle.
L'histoire d'Estevao Silva da Conceiçao a été racontée dans le documentaire "Gaudí dans la favela", du cinéaste Sergio Oksman, sorti en 2002. Lors du tournage, l'année précédente, l'ancien maçon s'est rendu à Barcelone pour connaître les oeuvres de l'architecte auquel il est comparé.
La notoriété acquise grâce au film a transformé le lieu en site touristique et la visite coûte actuellement environ cinq euros.
"Il y a tellement de choses à voir, chaque petit coin est plein de détails à observer", décrit Celly Monteiro Mendes, 24 ans, touriste venue de Manaus, dans l'Amazonie brésilienne.
Une fois franchie, l'entrée ornée d'assiettes peintes multicolores et surplombée d'arbustes, les visiteurs accèdent à une salle aux allures de caverne, point de départ d'un dédale de galeries au plafond bas, avec des escaliers étroits menant d'un étage à l'autre.
Les parois en ciment recouvertes de petits cailloux marron sont ornées de centaines d'objets en tous genres: jouets en plastique, tasses, vieux téléphones, masques, pièces de monnaie, engrenages d'horloges et autres quincailleries. Certains de ces objets lui ont été offerts par des visiteurs.
- Jardin enchanté -
Né dans l'Etat de Bahia (nord-est), le "Gaudí brésilien" est arrivé en 1977 à Sao Paulo, où il a travaillé notamment comme maçon et jardinier.
En 1985, il a acheté un terrain pour construire sa maison à Paraisopolis et a laissé libre court à son imagination.
"Je voulais avoir un jardin, faire quelque chose de différent. Je ne pensais pas que cela se transformerait en une oeuvre d'art connue mondialement et ressemblant à ce qu'a fait Gaudi, sinon je l'aurais fait monter encore plus haut", explique-t-il.
"Je l'ai fait pour moi, et c'est devenu un lieu touristique", résume Estevao Silva da Conceiçao.
Il a commencé par planter une roseraie et a construit une structure de métal autour, mais les plantes ont poussé trop vite.
Lassé de ramasser les feuilles, le jardinier a préféré enlever toute la végétation et a recouvert la structure métallique de ciment, posant les bases de son château.
Les parois ont été recouvertes de cailloux "pour rafraichir" les lieux et il a ajouté une assiette cassée qu'il avait à portée de main. Le premier des centaines d'objets qui composent à présent son oeuvre.
Les plantes ont refait leur apparition au dernier des quatre étages, à ciel ouvert, où l'on entend les oiseaux chanter en observant de haut les inégalités brésiliennes: les bicoques de la favela au premier plan et les immeubles imposants du quartier chic de Morumbi au loin.
O.Leclercq--JdB