

Trop d'eau: un village de Bolivie englouti par le climat et la fièvre de l'or
Juché sur son radeau de fortune, Rafael Quispe se fraie un chemin entre meubles à la dérive et voitures englouties. Depuis deux mois, son village de Tipuani, niché au coeur d'une région aurifère de l'ouest de la Bolivie, est noyé sous les eaux.
L'exploitation de mines d'or le long du fleuve qui traverse la municipalité de 7.500 habitants, combinée à des pluies inhabituelles, que les experts attribuent au changement climatique, est à l'origine de l'inondation du village.
Jusqu'à 500 maisons ont été submergées depuis la mi-janvier, selon la municipalité, qui n'a signalé aucun blessé ni mort.
Certaines rues sont même embourbées dans une eau verdâtre depuis plus longtemps, alors que les inondations se répètent depuis trois ans au moment de la saison des pluies qui va de novembre à avril.
"Cette ville, si belle auparavant, est aujourd'hui un désastre", se plaint Rafael Quispe, monté sur son radeau pour aller voir si le niveau de l'eau est enfin descendu dans sa maison de deux étages.
La ruée vers l'or, dont le prix a augmenté de 260% en dix ans, est en partie responsable de la situation de ce village isolé, que l'on rejoint après avoir parcouru une trentaine de kilomètres sur une piste boueuse et rocailleuse ponctuée de tumultueux gués, parfois impossibles à franchir.
En creusant avec leurs machines aux abords du Tipuani et en y déversant leurs déblais, les coopératives minières modifient le cours du fleuve, "ce qui entraîne des inondations", explique à l'AFP Alfredo Zaconeta, chercheur au Centre d'études sur le travail et le développement agraire (Cedla).
Selon les données de la municipalité, située au cœur de la région aurifère des Yungas, sur les contreforts des Andes, 92% de la population dépend d'activités liées à l'exploitation minière.
Sinforiano Checa, un ancien mineur de 67 ans, vit sous une tente depuis que sa maison a été inondée il y a plus de deux mois. Ce qu'ont fait les coopératives "est un péché", lâche-t-il, le souffle court.
Atteint d'une grave silicose, une maladie pulmonaire causée par ses années de travail, il peine à trouver l'air, autant que les mots. Non loin, des cochons s'ébattent dans une rue boueuse.
- "Le village peut disparaître" -
"Tous les déblais ont fini dans le fleuve", reconnaît auprès de l'AFP Rolando Vargas, président de la coopérative minière Chima, l'une des nombreuses que compte Tipuani, dont 14 travaillant dans le lit même du fleuve du même nom.
"Cela ne date pas d'hier", ajoute-t-il, assurant que sa coopérative a cessé la pratique il y a deux ans. S'il admet se sentir "un peu" responsable des inondations, il nuance aussitôt : "pas tant que ça" non plus.
Après l'entretien avec l'AFP, il a été signalé comme disparu. Sa camionnette a été retrouvée emportée par le fleuve, selon les informations partagées par sa famille sur les réseaux sociaux.
À Chima, un hameau situé à une vingtaine de minutes en 4x4 de Tipuani, les enfants s'éclaboussent et font du vélo dans les eaux polluées entourant les maisons et leur école.
Celle-ci est fermée depuis la rentrée en février et les cours ont lieu en ligne pour les enfants disposant d'une connexion internet, souvent faible, et d'un ordinateur.
"Le village peut disparaître, mais nous devons continuer à travailler. De quoi allons-nous vivre si nous ne travaillons pas ?", clame Manuel Barahona, un habitant de 63 ans dont la maison est également sous les eaux.
"C'est vraiment problématique. Ma maison est sous l'eau depuis un an et personne ne dit rien", se plaint non loin Marco Anibarro, 54 ans. Comme de nombreux autres mineurs, il a dû louer une chambre dans une zone non inondée, tandis que sa famille a quitté le village.
Aux dégâts environnementaux provoqués par l'intense activité minière s'ajoutent les effets du changement climatique.
Les pluies de janvier ont été les plus intenses de ce mois au moins depuis 2012, selon le Service national de météorologie et d'hydrologie (Senamhi).
"C'est totalement anormal", car le pays traverse le phénomène La Niña, qui devrait entraîner moins de précipitations, souligne Lucia Walper, responsable de l'unité de prévisions de l'organisation.
L'experte affirme que les incendies forestiers de l'an dernier dans le département de Santa Cruz, dans l'est du pays, les plus dévastateurs jamais enregistrés en Bolivie, avec plus de dix millions d'hectares ravagés, "ont eu des répercussions directes" dans la région de Tipuani.
Le manque de végétation ne retenant plus les nuages, ceux-ci atteignent désormais les contreforts des Andes, explique-t-elle.
La Bolivie est l'un des dix pays les plus exposés au changement climatique, selon l'indice mondial des risques climatiques 2021 compilé par le groupe de défense Germanwatch.
Y.Simon--JdB